Tous antisémites, même ma mère

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 330 commentaires

Même Macron ! On savait bien qu'il finirait par se démasquer, l'antisémite de l'Elysée. En constatant, à propos de Gaza, que "De facto ces bébés, ces femmes, ces personnes âgées sont bombardés et tués, il n'y a aucune raison à cela et aucune légitimité", (sur la BBC, à l'abri des oreilles françaises, heureusement) Macron a "frôlé l'antisémitisme" (dixit i24News) et "mis une cible" sur l'écolier juif, et sur la jeune manifestante juive pour la libération des otages brandissant un drapeau israélien. "Troublé", le CRIF ne le lui a pas envoyé dire, qui lui a demandé de clarifier ses propos. Pour qui se prend-il, ce Macron ? Le susnommé a d'ailleurs précisé dès le lendemain, en appelant le président israélien, que ces bombardements n'étaient pas intentionnels.

Tous antisémites, même ma mère. Dans la grande entreprise d'assainissement de "l'antisémitisme d'atmosphère", heureusement il y a Pablo Pillaud-Vivien. Rédacteur en chef de la revue Regards, représentant estampillé de gauche chez BFM, Pablo Pillaud-Vivien y a fait repentance sur l'antisémitisme de gauche, sur les "imaginaires antisémites" qui se cachent souvent dans les remarques les plus anodines. Exemple celle-ci, dans les familles, même celles qui se croient de gauche : "finis ton assiette, on n'est pas chez Rothschild". Injonction, selon lui, "profondément antisémite".

D'un coup, tout m'est devenu clair. Maman ! Si tu avais sû ! Combien de fois l'ai-je entendu dans sa bouche, ce "on n'est pas chez les Rothschild", bien plus souvent que ses récits de l'Occupation à Lyon, quand elle tremblait en entendant tôt le matin des pas dans l'escalier. Pour être historiquement précis, puisqu'il faut disséquer le trauma, cette injonction antisémite d'atmosphère, je l'ai surtout subie devant les assiettes d'épinards, quand il y avait des épinards. Et sans doute mon antisémitisme inconscient est-il né d'une morbide jalousie à l'égard de ces Rothschild, qui n'étaient pas obligés, eux, de finir leurs épinards.

Avec une telle ascendance, pas étonnant que je sois devenu un mauvais Juif, un Juif honteux, qui non seulement a besoin de réviser en douce Soukkot dans Wikipedia pour se rafraîchir la mémoire, mais estime comme Rony Brauman que le gouvernement israélien, tout démocratique qu'il soit, frôle tout de même la surconsommation de boucliers humains planqués dans des couveuses.

En Juif honteux, je me suis rendu au rassemblement du gymnase Japy, de commémoration de la Nuit de cristal. Mais je ne suis pas allé à la manif Braun-Pivet-Larcher-Zemmour-Le Pen, et je viens de comprendre pourquoi : Juif honteux, je me serais senti mal à l'aise parmi ces irréprochables philosémites comme Marine Le Pen, ou Eric Zemmour. Zemmour, en voilà un Juif fier de l'être, qui défend logiquement la mémoire de ce protecteur historique des Juifs nommé Philippe Pétain. Un authentique ami des Juifs, celui-là aussi, qui les aimait tellement qu'il voulait les protéger des miasmes du métro, et prémunir les enfants juifs d'attraper des cochonneries dans les bacs à sable des squares. Et Le Pen ! En voilà une qui a fait le geste de sacrifier papa sur l'autel de son philosémitisme. C'est beau. Et pourtant elle a dû en entendre dans sa jeunesse, avec tous ces Waffen SS copains de papa. Pas aussi grave que ce que j'ai moi-même entendu, mais tout de même.

En Juif honteux, je n'arrive pas à crier "Mélenchon salaud, les Juifs auront ta peau". Tout "salaud" qu'il soit éventuellement, et quelle que soit sa manière originale, bien à lui, de lutter contre l'antisémitisme en rappelant le caractère déïcide du peuple juif,  je n'arrive pas à crier avec les bons Juifs, pour qui un bon antisémite est un antisémite mort. 

En Juif honteux, je considère qu'un enfant mort est un enfant mort. Je n'arrive pas à considérer comme un simple dommage collatéral cette famille de Gaza, qui fuit les bombardements humanistes israéliens, après avoir été avertie qu'elle avait une demi-heure pour plier bagages. Honteusement, je n'ai pas de mezouzah sur la porte, ni même de drapeau israélien chez moi. S'ils gagnaient le Mondial un jour, j'aurais bonne mine. 

Heureusement, philosémites et judéologues m'assistent ces jours-ci dans ma psychanalyse accélérée.  Prenez le nommé Pierre Sautarel, animateur de la plateforme philosémite d'extrême-droite Fdesouche, grand copain de Le Pen et Zemmour. L'autre jour, avec un réel intérêt (car sa sollicitude de judéologue s'étend même aux Juifs honteux, c'est dire) il proposait une explication à mon cas. Selon lui, si j'émets parfois des réserves à l'égard des bombardements humanistes israéliens, c'est qu'en tant que Juif, je ne supporterais pas l'idée que des Juifs soient "sédentaires". Ce doit être ça. Juif honteux, j'ai tout de même le nomadisme dans le sang, et peine donc à admettre que des Juifs agricoles, démocratiques et sédentaires exproprient des Arabes, leur confisquent leurs maisons et leurs terres, leur interdisent de marcher dans leurs rues, les parquent, les expulsent et les bombardent, même avec préavis. Un être-nomade génétique, et une allergie aux épinards : rien à dire, les guerres sont des moments difficiles, mais elles permettent de mieux se connaître.


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