Soirée dialectique à Montreuil
Daniel Schneidermann - - Obsessions - 215 commentaires
De mémoire d'observateur de campagnes, ce fut un moment sans précédent. Du meeting de lancement du nouveau Front Populaire (NFP), lundi soir à Montreuil (93), restera cette image irréelle, où se côtoyèrent purgeurs et purgés. A la tribune, les duos Panot / Hassan et Ruffin / Autain. Rima Hassan y a soutenu implicitement la candidate officielle NFP Sabrina Ali Benali, tandis que François Ruffin (comme Olivier Faure) soutenait explicitement le dissident NFP Alexis Corbière. Que Panot et Hassan aient ostensiblement consulté leurs portables pendant les discours de Autain et Ruffin, ou qu'une obscure opération de lecture sur lèvres ait été montée contre Corbière, ne minore pas l'événement : ce moment a existé.
Et il n'a pas échappé à la sagacité du Monde
, qui voit en LFI"un mouvement qui a choisi d’habiller ses derniers règlements de comptes sous des couleurs antiracistes"
. Rima Hassan y aurait prononcé "un discours destiné à justifier l’exclusion de députés présentés comme des usurpateurs à la cause des classes populaires racisées"
. Autrement dit, pour Le Monde
, la purge de samedi dernier est d'abord "un règlement de compte"
, une "exclusion"
, qui a ensuite
été ripolinée en initiative de renouvellement des élus.
Je ne suis pas d'accord. Il faut pouvoir analyser cet épisode précis d'exclusion de dirigeants installés au profit personnalités émergentes de la "société civile", comme à la fois
une purge et un renouvellement. Les deux en un. Cela suppose de pouvoir accepter ses contradictions de manière dialectique, ce que formule plus précisément Mediapart
, en avançant audacieusement que "la verticalité – voire l’absence de démocratie interne – des Insoumis·es permet d’imposer des candidatures en dépit de résistances locales, ou des baronnies que constituent les fédérations socialistes par exemple"
. Autrement dit, la nature d'autocratie opaque du mouvement serait, dans ce domaine, plus vertueuse que les démocraties formelles d'apparence des partis traditionnels avec leurs congrès, motions, tendances, écuries, et douloureuses synthèses.
Cette opposition me rappelle les camarades chargés de notre formation, lors de mon bref passage adolescent au PCF dans les années 70, qui opposaient les "libertés réelles" (en URSS) et "les libertés formelles" illusoires de nos démocraties bourgeoises. "Le contexte
, nuance Mediapart
, envoie cependant un signal catastrophique à la société civile désireuse de s’engager en politique ou aux militant·es des quartiers populaires qui rêvent d’être enfin admis·es à des places éligibles. Car cette ouverture est concomitante de sanctions politiques pour les député·es critiques de la ligne de Jean-Luc Mélenchon"
.
Vive la dialectique ! Toujours est-il que sur le plan de l'ouverture à la diversité et à la "société civile organisée"
(Mediapart
), LFI est en avance sur ses camarades du Front Populaire, comme le soulignait avec pertinence Rachida Dati en pointant la photo de famille de la conférence de presse de lancement (oui, je cite l'ennemi de classe), dans les élégants jardins de la Maison de la Chimie, à Paris.
dissidents : tolérance zéro indivisible
L'essentiel est que ces subtilités dialectiques ne détournent pas le peuple de gauche de voter contre le RN, c'est à dire pour le nouveau Front Populaire. Mais lequel ? Personnellement, si je votais dans une circonscription à dissidents (ce n'est heureusement pas mon cas), je crois, après moult tortures intérieures, que je voterais pour le, ou la, candidat.e officiel.le du NFP. Si sympathiques et efficaces que soient les sortants non reconduits, si injuste que soit éventuellement leur sort de purgés, le mot d'ordre "tolérance zéro pour les dissidences"
ne peut pas être à géométrie variable, "quand les blés sont sous la grêle"
(on n'a jamais autant cité mon cher Aragon). Voyez dans ce coupable légitimisme un résidu de mon adolescence néo-stalinienne, si ça vous amuse.
Pardon pour ces considérations secondaires. En vérité, plutôt que de nous chercher encore des poux dans la tête, comme dans nos forums, ou sur mon réseau social addictif préféré, nous devrions accorder davantage d'énergie à pointer les truandages de l'adversaire. Vous vous êtes peut-être demandés, par exemple, pourquoi Bolloré, en pleine bataille, débranchait prématurément Hanouna de C8, pour l'exfiltrer dans la case confidentielle des après-midis d'Europe 1
. C'est l'universitaire hanounologue Claire Sécail qui donne la réponse (merci à elle) : la convention entre l'ARCOM et Europe 1
n'ayant été signée qu'il y a huit mois, Bolloré est libre, pour les semaines qui viennent, d'en faire un pur instrument de propagande, sans aucun souci d'équilibre des temps de parole. Il aura tout le temps de régulariser après la campagne. Qui le dit ?
Plutôt que de nous chercher des poux, cherchons les faiblesses de l'adversaire. Par exemple, tout occupés que nous sommes à dénoncer (à juste titre) le péril brun, voyons-nous assez la "ciottisation" de Bardella ? Voyons-nous assez les gages qu'il donne, avant même son entrée éventuelle à Matignon, au bloc bourgeois ciottiste, et aux marchés ? Exit les mirifiques promesses ! Exit l'abrogation de la réforme des retraites. Exit la baisse de la TVA à 5,5% sur 100 produits de première nécessité. Exit l'exonération d'impôt sur le revenu des moins de trente ans. Exit la revalorisation de la grille indiciaire des enseignants de 3% par an. Exit la sortie de l'agriculture des accords de libre-échange conclus par l'UE. Exit les prix planchers sur les produits agricoles, "proposition historique"
rappelle Le Monde
, qui liste tous ces renoncements anticipés dans un article d'utilité publique, que je me permets de résumer ici. Est-ce à dire que Bardella, borduré par les marchés et la Cour des comptes sur l'économie, par Macron sur l'Ukraine, par le Conseil d'Etat sur le racisme, ne constitue pas vraiment un danger ? Bien sûr que si. Une arnaque et
un danger. En même temps. D'autant plus dangereux par les forces incontrôlables qu'il pourrait libérer (car lui aussi a sa "société civile"), que borduré légalement. Pensons dialectique, là aussi.