Résister...à Bourdin
Daniel Schneidermann - - Déontologie - Obsessions - 198 commentaires
Jean-Jacques Bourdin a décidé qu'il boufferait de l'Obono, Danièle, en fines lamelles, au petit déjeuner. "Pour vous le Hamas est un mouvement de résistance ? Je cherche l'explication"
demande-t-il le 17 octobre à la députée insoumise. "Oui, c'est...c'est..." "C'est un mouvement de résistance ?" "C'est nécessaire d'avoir, euh..." "Est-ce que c'est un mouvement de résistance ?" "C'est nécessaire d'avoir des clarifications..." "A propos de clarifications, est-ce que c'est un mouvement de résistance ?"
Six relances. Pas une de moins. Et à la cinquième, Obono : "...qui résiste à une occupation..."
Elle l'a dit ! Bourdin, haussant le ton pour l'estocade : "donc c'est un mouvement de résistance !" "Oui...qui se définit comme tel, qui est reconnu comme tel par les instances internationales..."
C'est bon. C'est dans la boîte. Vous m'emballez ça avec un tweet mensonger recousant grossièrement des réponses décousues, et inventant au passage une phrase non-prononcée : "Oui, le Hamas est un mouvement de résistance. C’est un groupe politique islamiste qui a une branche armée, et qui résiste à l'Israël"
et vous me l'envoyez sur les réseaux.
.@Deputee_Obono : "Oui, le Hamas est un mouvement de résistance. C’est un groupe politique islamiste qui a une branche armée, et qui résiste à l'Israël"https://t.co/QKa5Efuc2Wpic.twitter.com/iMVJOem2xE
— Sud Radio (@SudRadio) October 17, 2023
On a ici, et moi le premier, assez souvent reproché aux journalistes français de l'audiovisuel leur complaisance dans les interviews, pour changer d'avis sur cet épisode particulier. On aimerait bien sûr qu'il soit toujours aussi pugnace avec les ministres et ministricules quand il en reçoit, mais Bourdin fait du Bourdin, comme il l'a toujours fait, et il est dans son rôle de matinalier. Dans la grande tradition Elkabbach, le matinalier des radios ne vise qu'une chose : susciter une reprise AFP, et créer l'évènement de la journée. Bravo, c'est réussi. "Abjecte complaisance !"
tweete Yannick Jadot. "Bon maintenant ça suffit"
(Tondelier). " J'enrage"
(Faure). Ca dégaine même au sein du groupe parlementaire LFI, "J'invite Danièle Obono à retirer ses propos"
(Raquel Garrido). Ruffin et Autain partagent ostensiblement la Une de L'Huma
"Le Hamas, meilleur ennemi des Palestiniens"
. "Je retweete"
précise même Ruffin, pour les malcomprenants. Feu sur Obono, cible d'autant plus facile qu'elle s'est avancée à découvert, au-delà même de la ligne Mélenchon, lequel récuse le terme "terrorisme"
appliqué au 7 octobre (ses justifications juridiques en longueur ici), mais n'est jamais allé jusqu'à parler de résistance.
Bourdin est dans son rôle, donc, ce qui laisse aux interviewé.e.s deux possibilités. Soit, de refuser ses invitations, s'ils ne souhaitent pas jouer ce jeu-là. Personne n'est jamais obligé d'aller à la radio. Soit, s'ils décident d'y aller, de trouver les moyens de résister à l'ouragan, en taillant leur route, en collant l'ouragan au mur, pleinement conscients qu'ils n'ont pas affaire à un journaliste, mais à un adversaire, dans un combat de dix minute, où tous les coups sont permis. A propos de résistance, justement, c'est cette résistance-là à l'injonction, sa forme, ses modalités, son efficacité, qui constitue le coeur du message politique.
Oups ! J'allais oublier Darmanin. Et j'aurais eu tort. Car Gérald Darmanin, lui, ne se contente pas de polémiquer ou d'injoncter. A la lecture du tweet mensonger de Sud Radio
, le ministre de l'Intérieur a annoncé saisir le parquet contre Danièle Obono pour"apologie du terrorisme"
. Dans l'hystérie du moment, cette judiciarisation par le gouvernement de la parole d'une parlementaire passe quasiment inaperçue. Le parquet classera sans suite, c'est à espérer. Mais là, on ne rit plus. Soudain, on change de monde.