Racisme : les "braves gens", et les "brebis galeuses"

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 240 commentaires

Ah mais c'est trop bête. Vraiment trop bête. Ils y étaient presque. A deux doigts. A deux doigts de faire croire que le racisme du vieux n'était plus qu'un sale souvenir du siècle dernier. Ils avaient badigeonné la façade, vissé serré le couvercle de la cocotte. La soupape tournait dans tous les sens, mais le couvercle devait tenir, avec la complicité des inviteurs de plateaux, qui ne recevaient que des ripolinés, des dédiabolisés. Bardella trébuchait en estimant que le vieux n'était pas antisémite, mais il se reprenait immédiatement, faute de carre, moment de distraction, excuses piteuses, c'est oublié. Manquait juste la formalité d'une campagne présidentielle, gagnée d'avance.

Et puis voilà qu'au fil de la campagne législative, devant les caméras des télés régionales, on découvre les recruté.e.s à la hâte, parce qu'il faut bien boucher les trous, 577 candidats à trouver, et les suppléants, vous imaginez la galère. On les découvre tous, en vrac, "un vrai calendrier de l'avent, sauf que ce ne sont pas chocolats" dit Marine  Tondelier, on découvre celle qui porte une casquette nazie, celle qui a fait une prise d'otages à main armée, le candidat motard qui n'a pas écrasé son curé noir, celui qui pense que "le détail" de Le Pen père n'était pas antisémite, mais une simple erreur de communication, etc etc. Un festival.

Et voilà donc que la cocotte explose, une catastrophe. Pas pour le noyau dur, les convaincus, les historiques, qui savent à quoi s'en tenir, mais pour les autres, les ralliés récents, les "on n'a pas tout essayé", les "finalement, le RN protège les Juifs", ceux qui feront la différence. Et Marine Le Pen doit courir partout, son badigeon dans une main, l'extincteur dans l'autre, pour éteindre les départs de feu qui se déclarent partout. Combien ? Deux ou trois, commence Bardella, "des brebis galeuses", démasquées par "des journalistes qui font ça toute la journée, et enquêtent sur les grand-mères des suppléants"Puis, le lendemain, cinq ou six. 80, recense pour sa part Mediapart. Et certains, horreur, ne s'en prennent pas seulement aux Arabes, mais aux Juifs, dont Le Pen est désormais promue sainte protectrice. Même Thomas Sotto, même Apolline de Malherbe, ne peuvent plus faire semblant de ne pas voir. Les éteindre tous ? Non. Impossible. Il y en a trop. Lesquels, alors, en priorité ? Voilà le problème. 

Marine Le Pen et Apolline de Malherbe font allusion à Paule de Veyras, candidate RN dans la Mayenne, dont une interview par un média régional a buzzé des tout derniers jours. Voici l'extrait.

Une maladresse. "Des braves gens qui n'ont pas fait l'ENA"Il faut prendre cet argument au sérieux. Oui, ce sont des braves gens.  Oui, il existe, aujourd'hui comme hier, un racisme / antisémitisme (pardon de les mettre dans le même sac, car ils sont exactement dans le même sac à main de la décidément très inopportune Mme de Veyras) de braves gens. 

Ceux qui ne tabasseront pas, ne pogromiseront pas personnellement, ne dénonceront pas à la gendarmerie ni à la Kommandantur, ceux qui en connaissent des bons, des bien, des très corrects, qui ont fait l'effort de s'adapter, ceux qui ont un dentiste arabe comme ils avaient hier un ami juif, mais qui ne sont pas opposés à un peu sévérité, une petite piqure de rappel de temps en temps, pour que tous les autres restent à leur place, discrets, ne s'imaginent tout de même pas en pays conquis, parce que avant tout, "on est chez nous"

Ceux-là ne ratonneront pas le 8 juillet, si jamais... Ils se contenteront de détourner le regard et de parler d'autre chose quand on les exclura de l'aide sociale, quand on les reconduira "dans leur pays", comme hier quand on les entassait dans les trains, vers la Pologne où ils allaient "travailler durement la terre", ce qui ne leur ferait pas de mal. Ceux qui demain, après demain, quand ils ne pourront plus ignorer les images, jureront qu'ils ne savaient pas, ne pouvaient pas deviner. 

Mais où passe vraiment la limite entre "les braves gens" et les "brebis galeuses" ? Cela pourrait être clair. Entre la voisine ("va à la niche, on est chez nous") de Divine Kinkela, et la patiente de l'ophtalmo et du dentiste,  a priori, oui, on pourrait tracer la limite d'un racisme pas moins raciste que l'autre, mais apparemment inoffensif. Un racisme de braves gens. Mais le premier a besoin de la complicité passive du second. Sans le second, le premier n'est rien. Et si tout de même, ces deux vedettes d'un jour ont un point commun : dans leurs deux cas, Marine Le Pen ne voit pas le problème.


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