Qui a tué la candidature Huguette Bello ?

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 363 commentaires

Mon enquête sur X, par téléphone et par SMS

Vous savez quoi ? Je n'arrive à rien écrire, ces derniers jours. Les grandes douleurs sont muettes. Je suis comme j'imagine que vous l'êtes, écoeuré, dégoûté, furieux contre les grands chefs de la gauche. Je ne vais pas écrire pour répéter ce que tout le monde répète.

Néanmoins, je me tiens au courant.

Ce matin sur France 2, j'ai entendu une soeur en écoeurement. Vous la connaissez peut-être : elle s'appelle Marine Tondelier.

"Je suis écoeurée, fatiguée, j'en ai marre. Je suis comme les Français, comme les électeurs" disait-elle.


Et encore : "Ce matin j'ai croisé quelqu'un dans les couloirs de cette chaîne, j'ai détourné le regard".

Une fois déjà, Tondelier m'avait exprimé. C'était sur France Inter, le 1er juillet, au lendemain du premier tour. Traitant de "lâche et d'hypocrite" Bruno Le Maire, qui refusait de choisir pour le second tour entre RN et NFP, elle exprimait à l'époque ma colère contre la droite. Ce matin, elle exprimait ma colère contre la gauche.

Sauf que Marine Tondelier n'est pas une électrice ordinaire. Elle siège parmi les quatre négociateurs du Nouveau Front Populaire, qui jusqu'à maintenant ont échoué à dégager une proposition de nom pour Matignon.

Dans les pistes évoquées puis abandonnées, il y a la présidente de la région Réunion, Huguette Bello. Sa candidature a constitué le suspense du 14 Juillet. Avancé par Fabien Roussel, comme l'a rapporté la presse, son nom a aussitôt été approuvé avec enthousiasme par Jean-Luc Mélenchon ("un nom qui ferait honneur à notre pays") . Communiste, Bello est aussi proche de LFI : elle figurait en avant-dernière position sur la liste de Manon Aubry aux Européennes. Une candidate qui rallie Roussel et Mélenchon, ça s'étudie, non ? Restaient Les écologistes, et le PS.

D'emblée, la candidate Bello suscite des réticences du PS : trop à gauche. Un Conseil National est convoqué dans l'après-midi du samedi 13.  Olivier Faure, en ouverture, selon Mediapart : "si on est seuls contre trois, on va devoir céder". Il faut donc sonder les Ecologistes. Faure s'absente de la réunion, et revient au Conseil National en disant : "les Verts, c'est ni oui ni non". Ouf ! Le PS se sent délié de l'obligation de "céder". Exit la candidature Bello.

Sauf que le lendemain matin à France Inter, Marine Tondelier, explique que son mouvement a accueilli l’hypothèse Bello  "avec beaucoup de bienveillance " et "d’enthousiasme". Mais que les Ecologistes souhaitaient néanmoins pouvoir la rencontrer "pour pouvoir défendre sa candidature".

Entre le"ni oui ni non" rapporté par Faure, et "beaucoup d'enthousiasme", il y a davantage qu'une nuance. Interpellée ce matin sur X par votre serviteur et par l'enseignant-chercheur Stefano Palombarini, Tondelier révèle :

En réponse, n'y comprenant plus grand chose, je l'interpelle :

Elle répond Appelez-moi. Bref, on se téléphone (c'est bien aussi, le téléphone). Et elle déroule.

Quand, lors d'une réunion au sommet à quatre le 12 juillet, à l'écart des "délegs", le nom de Huguette Bello  sort au milieu de plusieurs autres, avancé par Fabien Roussel, personne ne rebondit, et Tondelier non plus.  Le lendemain, explique-t-elle, le nom est publié dans L'Huma. Dans L'Huma ? Le crime est signé. "Fabien a dû se dire que ça avancerait plus vite". Tondelier appelle aussitôt Bello, qui se trouve à La Réunion. L'appel dure une dizaine de minutes. "J'étais allée à la Réunion pendant la campagne mais je ne l'avais pas vue. Défendant deux listes différentes, on avait convenu de ne pas se voir pour ne pas interférer avec les campagnes de nos listes respectives". La prise de contact se passe bien. "J'aime bien les nanas cash, et elle m'avait entendue sur Inter." Tondelier fait part de cette discussion au Conseil Politique des écolos, organe non conclusif, lequel, logiquement, ne conclut rien. Pourquoi ne pas avoir dès cet instant décidé d'auditionner Bello pour la sonder en profondeur ? " "A cet instant, il n'y avait pas le feu, et les négociations étaient suspendues".

Arrive le fameux Conseil National du PS, et la conversation fatidique, que Faure rapporte aux socialistes avec un "les Ecolos, c'est ni oui ni non".  Surprise: "je n'ai pas parlé à Faure" révèle Tondelier sur X ce matin. C'est vrai, me confirme Faure (avec qui on échange par SMS). Il a en fait parlé à un proche collaborateur de Tondelier "mais je ne veux pas qu'il prenne des tonneaux sur la tête". Pourquoi pas à elle directement ? "Elle n'était pas dispo". Pour sa part, Tondelier assure qu'elle n'a pas été appelée. Que se sont dit Faure et "l'entourage" de Tondelier ? Faure : "Qu'ils étaient partagés. Et la réunion du soir des chefs de parti, ensuite, n'a pas plus fait apparaître leur choix".  "L'entourage" terrifié à l'idée qu'on publie son nom : "Qu'on continuait un processus exploratoire, avec bienveillance". Mais dès lors, la candidature est enterrée.

Tondelier : "Faure a peut-être entendu ce qu'il voulait entendre". "Franchement, c'est un beau symbole mais elle n'était pas du tout prête à assumer Matignon" confirme Faure (par SMS). Ils me répondent, mais je les sens désarçonnés par mes questions factuelles (qui a dit quoi ? A quelle heure ? Qui a répondu quoi exactement ?) Manifestement, ils n'ont pas l'habitude. Et puis, dans ce harcèlement de textos, d'appels, de sommations, allez vous souvenir des détails !

Dans la soirée, Tondelier envoie à Bello un SMS (j'en ai copie) précisant que "les Ecologistes sont les seuls habilités à s'exprimer en leur nom. Ce que nous avons à dire nous le disons nous même". "Votre candidature, ajoute-t-elle, bénéficie d'une large bienveillance dans nos rangs, suscite l'enthousiasme chez beaucoup. Nous la considérons sérieuse, crédible, et je dirais même inspirante. Nous souhaiterions donc vous proposer un échange visio quand vous le souhaitez (aussi rapidement que possible) avec notre direction et nos grands élus. Les modalités sont adaptables à votre convenance."

Trop tard. D'autant que le décalage horaire n'arrange rien. Le lendemain matin, en se rendant à France Inter, Marine Tondelier est avertie par texto du désistement de Huguette Bello. Elle transforme donc son "intervention de soutien" en "intervention de regret"Aux dernières nouvelles,  le hashtag #Huguettereviens est en tête des tendances de X.

Mise à jour, 18 juillet, 5 heures : ajout de deux précisions à la demande des personnes citées.

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