Néo nazis : conquête des esprits, conquête de la rue

Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Obsessions - 105 commentaires

C'est dû à peu de choses, le caractère angoissant d'une image. Ainsi, à propos de la manifestation néo-nazie de samedi à Paris, regardez cette vidéo, repostée (entre autres) par Jean-Luc Mélenchon. Les Parisiens y reconnaitront le bar La Coupole, la tour Montparnasse, la FNAC Montparnasse et, par déduction, comprendront que l'action se déroule notamment boulevard du Montparnasse et rue de Rennes, artères importantes de la rive gauche parisienne. 

Cette manifestation n'est pas nouvelle: elle commémore chaque année la mort, en 1994, d'un jeune militant pétainiste et antisémite du mouvement L'Oeuvre française, Sebastien Deyzieu, tombé d'un toit en tentant d'échapper à la police, à l'issue d'une manifestation interdite.

 Ainsi, les néo-nazis masqués, même brièvement, même à seulement 600, effectif globalement constant depuis l'an dernier, ont occupé d'importantes artères parisiennes. La circulation a été interdite pour leur permettre de défiler. Les photographes de presse ont été interdits de les photographier, sans que la police intervienne.

Le préfet de police Laurent Nunez avait interdit cette manifestation, interdiction suspendue par le tribunal administratif. Dont acte. On ne peut pas approuver les décisions de Justice quand elles nous arrangent, et les condamner quand elles nous dérangent. Mais, tribunal administratif ou pas, il demeure interdit de défiler masqués. Et il n'est pas impossible à la police de faire respecter cette interdiction dans une manifestation de 600 personnes. Or si j'en crois le reportage de Maxime Macé et Pierre Plottu dans Libération, les masqués ont eu droit à une certaine tolérance policière.

Il y a autre chose dans cette vidéo, qui montre une jeune "photo reporter et militante engagée dans les luttes contre les violences policières et les injustices sociales", (ainsi se présente Adja Traoré) manifestant sa colère,  et insultant les manifestants néo-nazis. Sous les insultes, les néo-nazis ne perdent pas leur sang froid. Ils occupent la rue, mais parfaitement encadrés par un service d'ordre. A la jeune femme qui les traite de "sales fachos", ils ne répondent qu'en tentant de se camoufler derrière leurs parapluies. Par ailleurs, leur ordonnancement militaire est parfaitement visible sur cette photo de Denis Allard, photographe à Libération. Cette discipline, cet ordonnancement : ce ne sont plus seulement des manifestants. C'est déjà davantage qu'une milice, presque un corps para-militaire.

Dans ce sang froid, transpire quelque chose de plus alarmant que dans une violence débridée et aveugle de skinheads, comme les néo-nazis en sont coutumiers. Les croix celtiques, les tatouages signifiants, les drapeaux noirs : tout ce folklore est, au fond, moins inquiétant que les rangées géométriques militaires de ce rassemblement proche, par certains de ses membres, de Marine Le Pen, où se montre, au vu de tous, l'embryon d'une organisation, d'une patiente inscription dans la durée, d'une apparente soumission à la légalité, d'une sorte de dédiabolisation sardonique.

Fascisme et nazisme, au siècle dernier, se sont emparés de la rue en même temps qu'ils s'emparaient des esprits. Sans la terreur qu'inspire la maitrise de la rue, pas de capitulation des esprits, et donc pas de fascisme, pas de nazisme. Ici et maintenant, sous nos yeux, la conquête des esprits est largement entamée, comme en témoigne l'hypothèse hallucinante d'un débat électoral entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Commence celle de la rue, qui samedi dernier, n'a trouvé contre elle qu'une jeune femme nommée Adja Traoré.

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