Macron / TF1 : Gaza, guerre de seconde classe

Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Coups de com' - Obsessions - 51 commentaires

En copieux zakouski de son interminable soirée avec Emmanuel Macron, TF1 a choisi d’évoquer la guerre d’Ukraine. Pourquoi pas ? Le dossier le mérite. Pour une fois qu'une émission ne commence pas par les obsessions habituelles (foulard, migrants, prisons, etc), on ne va pas s’en plaindre. 

Il incombe à Darius Rochebin (LCI) de mitrailler le président. La Russie a donc refusé le cessez-le-feu de trente jours demandé par les Européens. Et refusé "de façon assez raide" précise Rochebin. "Vous avez dit que ça appellera des sanctions massives. Allez-vous appliquer des sanctions maintenant ?" Et pas d’échappatoire. "La Russie n’a pas répondu", tente Macron. "La Russie vous a dit que c’est un ultimatum. Allez-vous appliquer les sanctions maintenant ?" Réponse prudente. Et quand ? "Dès maintenant ?" insiste Rochebin. Macron : "Dans les prochains jours". "Dans les prochains jours, c’est cette semaine ?"  Et à quelle heure ?

L’interview présidentielle est un art difficile. Trop générale, trop respectueuse, elle passe pour complaisante, les exemples sont innombrables. Mais ainsi harcelante et unilatérale, comment ne donnerait-elle pas l’impression de pousser à la guerre ? Des sanctions, donc. Mais lesquelles ? "Toucher au capital de l’argent saisi russe, pas seulement les intérêts ?" suggère par exemple Rochebin. Macron : "On n’a pas le cadre juridique pour le faire."  Encore des arguties ! "Les juristes sont très divisés !" s'exclame le présentateur, Gilles Bouleau.

Suite du procès en pusillanimité. "Est-ce que vous comprenez que certains se disent, il y va, mais pas tout à fait", insiste Rochebin, qui connait bien le sujet, pour recevoir chaque soir sur son plateau une fournée de généraux, d’amiraux, de consultants en uniforme. "Vous dites il y a une menace existentielle de la Russie qui avance vers l’Ouest, il faut impérativement l’arrêter, et en même temps vous dites on ne peut pas récupérer les terrains occupés par Poutine par la voie militaire. On ne PEUT pas, ou on ne VEUT pas ?" Macron : "On sait qu’elle ne s’arrêtera pas là si on la laisse faire..." Rochebin : "Mais on la laisse faire. Elle a déjà mangé la Crimée, elle occupe une autre partie du terrain." 

Justement, il est temps de donner la parole au terrain. Bouleau : "Ecoutez et regardez, c’est un soldat ukrainien, il se bat au fond d’une tranchée depuis des mois, et ce qu’il dit vous est directement adressé." Image du soldat, dans sa tranchée. Bouleau : "Il demande des Taurus allemands, davantage de canons français. C’est ça qu’il demande." Et cet argument massue de Rochebin : "La Corée du Nord a fourni à la Russie plus d’obus que toute l’Europe en a fourni à l’Ukraine". Qu'attend-on pour suivre cet exemple ?

Vingt minutes au total, d’un interrogatoire unilatéral. C’est parfaitement le droit de TF1 et LCI de militer en faveur d’une plus grande implication de la France et de l’Europe dans la guerre d’Ukraine, au mépris du risque plusieurs fois évoqué par Macron d’une "troisième guerre mondiale". C’est une opinion recevable (et pour être honnête, je n'ai personnellement pas d'opinion très arrêtée sur la question). Mais pourquoi alors ne pas le proclamer ainsi, ouvertement, plutôt que par une grêle de questions faussement neutres, qui donnent l'irrésistible impression d'avoir subi vingt minutes de propagande de guerre ?

Passons à la France. Se succèdent, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, la lobbyiste ultra-libérale Agnès Verdier-Molinié, et les dégâts de la guerre des droits de douane sur les exportations de cognac. Ah tiens ? Déjà ? Une autre guerre ne se déroule-t-elle pas au même moment, du côté de Gaza ? Certes. Mais c’est pour plus tard, à l’approche de 22 heures. En six minutes chrono cette fois, Macron refuse de qualifier de "génocide" le carnage de Gaza (malgré l’insistance méritoire de Gilles Bouleau), estime "inacceptable" le blocage israélien de l’aide humanitaire depuis début mars, et estime qu’on "ne peut pas faire comme si de rien n’était", en réponse à une question de téléspectateur sur la révision des accords commerciaux européens avec Israël. Sur ce sujet, il va donc falloir, comme le demandent plusieurs pays europeéns, "faire monter la pression". Rochebin n’est plus là, pour s'enquérir si ce sera ce soir, demain, ou la semaine prochaine. 

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