Israël / Hamas : les "civils", et les autres

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 265 commentaires

Des images. D'innombrables images, sur les réseaux sociaux. Et des mots. Des mots pesés avec précision, ou pas. Comme lors de chaque embrasement israélo-palestinien, la presse internationale s'efforce de choisir avec soin, pour décrire l'événement, les mots qui marqueront sa préférence, ou sa tentative de neutralité. Ainsi, les mots qui désignent les assaillants du Hamas, dans cette offensive surprise du 7 octobre. Comment les qualifier ? "Terroristes", comme le gouvernement israélien, les Etats-Unis et l'Union Européenne (mais ni la Russie, ni la Chine) ? Pour BFM, l'appellation "terroristes" ne fait aucun doute. Mais le "live" du Monde, en revanche, préfère parler de "soldats", de "branche armée du Hamas", ou de "combattants".

Mouvement terroriste ou non, le sujet est débattu de longue date à propos du Hamas, peut-on imaginer, dans les grands médias internationaux, qui ont tous établi des règles à ce sujet.

En revanche, le caractère inédit de cette offensive du Hamas en territoire israélien a placé les rédactions devant un choix qu'elles n'avaient sans doute pas anticipé. Comment qualifier les morts et les otages israéliens ?  Les pays alliés d'Israël insistent tous sur leur caractère "civil". Parcourons encore le "live du Monde.  "Les Etats-Unis condamnent les attaques horribles par des terroristes du Hamas contre Israël, y compris des civils" "L’armée israélienne a confirmé que des membres du Hamas retenaient des civils et des soldats israéliens en otage à Gaza, d’après Associated Press (AP)".  Etc etc. Idem pour les légendes des photos.

Morts civils. Otages civils. Précision utile. Il s'agit de souligner la brutalité de l'offensive du Hamas, qui ne s'en est pas seulement pris à l'Armée ou à la police israéliennes.

Mais survient quelques heures plus tard la contre-offensive aérienne israélienne. Tout aussi sanglante, sinon davantage. A l'heure où j'écris, le bilan s'élève à 200 morts à Gaza, sous les bombardements israéliens (contre 70 morts israéliens depuis ce matin).

Mais cette fois, dans les bilans comme dans les légendes, les morts ne sont que des "Palestiniens", sans précision sur leur caractère civil ou militaire.

Il est pourtant probable que l'écrasante majorité de ces victimes des bombardements israéliens, ou de ceux qui les fuient, comme sur la photo ci-dessus,  sont aussi des "civils". Pourquoi les dépêches des agences internationales ne le précisent-elles pas ? Que révèle cette omission sur l'inconscient et les présupposés des rédacteurs de synthèses ou de légendes ? Qu'un Palestinien n'est qu'un Palestinien indifférencié, qu'il soit civil ou militaire ? Que la mort sous les bombes d'une fillette "civile" palestinienne est moins horrible que la mort sous les balles du Hamas d'une fillette "civile" israélienne ? Je ne veux pas en dire davantage que cela, qui me frappe depuis ce matin. Attention aux mots que nous utilisons, et à ceux auxquels nous ne pensons même pas.


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