Information "libre" : bienvenue à ASI, Emmanuel Macron !

Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Déontologie - Obsessions - 13 commentaires

Il est temps. Il est grand temps de partir en campagne, contre les manipulations, les intoxications, et les "discours de haine". De reprendre "le contrôle de notre vie informationnelle". C'est Emmanuel Macron qui nous y incite. Qui m'y incite même personnellement, en m'envoyant un long mail, que je reçois au réveil (le texte intégral de cette "déclaration de Paris" figure ici. A noter qu'elle est signée par Malte et le Luxembourg, mais ni par l'Allemagne, ni la Belgique, ni les Pays-Bas, ni bien entendu les Etats-Unis. Comprendra qui pourra.)

Comment ne pas faire le rapprochement entre cette "déclaration", et "l'affaire Brigitte Macron", absurde et haineuse rumeur planétaire dans laquelle se débattent les Macron depuis plusieurs années, qui vient de donner lieu à un procès à Paris, et pour laquelle le couple présidentiel français a également porté plainte aux Etats-Unis.

Comment aussi ne pas voir qu'il est tard, bien tard, pour entreprendre cette croisade désespérée, de la part d'un Macron au crépuscule de son pouvoir, et sans plus aucun moyen d'action sur le manège emballé des gouvernements éphémères, sinon cette pompeuse déclaration vouée aux oubliettes.

Peu importe le déclencheur, dira-t-on, si le combat est juste. Et il l'est. Oui, les réseaux sociaux, leurs manipulations, leurs comptes anonymes, leurs bots, empoisonnent ce qui reste de vie démocratique sur la planète, pour le plus grand bénéfice de leurs actionnaires milliardaires, les Musk et les Zuckerberg, ou des commanditaires de cette guerre hybride, suivez mon regard du côté de Poutine. Oui, l'IA, elle aussi emballée, menace de dangers plus terrifiants encore.

Mais où pèche la croisade d'Emmanuel Macron, c'est lorsqu'il oppose au poison des manipulations en ligne, le contre-poison de médias "libres et indépendants", décrétés producteurs d'une information "libre et fiable". De qui donc parlez-vous, Monsieur le président ? Pour ne prendre que la France, parlez-vous de la galaxie Bolloré, de ces journaux, ces radios, ces télés -inutile de les énumérer une fois encore- où se précipitent vos ministres pour leur accorder des interviews ? Les médias Bolloré, tenus d'une main de fer par l'actionnaire (comme vient de le confirmer en toute décomplexion son ami Philippe de Villiers dans son dernier livre), où la moindre déviation est aussitôt sanctionnée, et qui consacrent ces temps-ci l'essentiel de leur énergie à saper le service public de l'audiovisuel, sont-ils à vos yeux "libres et indépendants" ? Pascal Praud, avec qui vous bavardez volontiers au téléphone, caquète-t-il "librement" ? Vous combattez les poisons numériques parce que la guerre hybride qu'orchestrent en douce les Etats qui les hébergent -Trump et Poutine, même combat !- vous a personnellement visé sous la ceinture, et à travers vous, sans doute, cette Union Européenne dont les valeurs -au moins proclamées- leur sont insupportables. Mais, s'ils ne visent pas les mêmes cibles, s'ils ciblent les pauvres et les minorités, les poisons de Bolloré et de ses semblables ne sont-ils pas plus toxiques encore ?

Oublions le déclencheur Brigitte. Aussi longtemps qu'un pouvoir politique ne combattra pas, en même temps (tiens tiens !) les poisons du numérique, et les intoxications obsessionnelles distillées par l'internationale des milliardaires réactionnaires et xénophobes, il sera inaudible pour tout citoyen.ne de bonne foi. 

Pour autant, la situation n'est pas désespérée. Davantage que jamais, se ressent le besoin d'une information professionnelle, authentiquement libre et indépendante de la publicité et des actionnaires, et qui ne tire sa ressource que de son public. 

Celle-là, Emmanuel Macron, vous soutiendra ou vous combattra, mais toujours à visage découvert. Elle commentera, analysera, critiquera, combattra, vos gestes, vos discours, vos initiatives heureuses ou funestes, vos abus de pouvoir, vos habiletés, vos duplicités, mais en signant de son nom, et sous le contrôle des lois de la République. 

Cela tombe bien, cette presse commence à s'organiser, par exemple sur notre toute neuve plateforme La Presse libre, qui regroupe à sa naissance huit médias indépendants, dont Arrêt sur images. Citoyens, citoyennes,abonnez-vous, c'est le moment. Ou sinon taisez-vous à jamais !

Quant à vous, Emmanuel Macron, vous êtes le bienvenu quand vous voudrez dans notre émission Je vous ai laissé parler, pour discuter des médias "libres et indépendants", et des autres. En toute liberté, et indépendance.



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