Il pleut sur l'Affiche rouge
Daniel Schneidermann - - Pédagogie & éducation - Obsessions - 80 commentaires
C'est rare la pluie, à la télévision. Il pleut ce soir sur le Panthéon. Il pleut sur l'Affiche rouge, sur les cercueils de Missak et Mélinée, dont le vent fait voler les drapeaux tricolores, et que portait tout à l'heure la Légion détrempée dans l'ascension de la rue Soufflot. Il pleut en fines zébrures sur les écrans, en hexagones cristaux sur les objectifs des caméras, ça dépend des plans, il pleut d'une sale petite pluie de février, d'un hiver qui n'en finit pas de finir, d'un printemps de quarante-quatre qui naguère jour pour jour n'en finissait pas d'arriver. Il pleut à vous en faire, pour une fois, retweeter l'Elysée.
L'Affiche rouge.
— Élysée (@Elysee) February 21, 2024
De Léo Ferré et Louis Aragon.
Interprété par Feu! Chatterton. pic.twitter.com/UjbezrjOTE
Il pleut sans respect aucun pour la pompe républicaine et les millimétrages mémoriels des spin doctors et c'est elle, la pluie, qui rafle en rafales la savante cérémonie. Il pleut sur les portraits des Vingt et trois quand les fusils fleurirent, adieu Golda Bancic, adieu Joseph Epstein, adieu Celestino Alfonso, adieu la peine et le plaisir adieu les roses. Il pleut sur ces couplets de tous temps connus et fredonnés, c'est Feu! Chatterton qui signe la reprise, tout écrasé dans la nuit par les colonnes du Panthéon, et les douceurs félines d'Arthur Teboul feraient presque oublier les goualantes de Ferré, quand il fallut goualer dans les années Cinquante pour crever onze ans de silence et de honte, onze ans de seconde mort de ces Français de préférence, ce soir enfin ressuscités. Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes, onze ans déjà, que cela passe vite onze ans
: ah petit coquin d'Aragon, barde sublime des turpitudes.
Entre ici Mélinée, ô mon amour mon orpheline, il pleut sur les grands hommes, sur la patrie reconnaissante, il pleut même sur les plans de coupe du public bien au sec, descendants concentrés, anciens à médailles, collégiens soudain gagnés par la gravité, il pleut indifférent sur les sacrifices et les savants malentendus de la cérémonie, sur les coeurs donnés avant le temps et les souillures, hélas, de cette panthéonisation, virgule de lumière entre barbaries d'hier et barbaries annoncées.