Grande coalition : avant l'heure, c'est pas l'heure !
Daniel Schneidermann - - Obsessions - 248 commentaires
"On s'en fout de Jean-Luc Mélenchon, franchement !"
lance Marine Tondelier à Nicolas Demorand. Cela peut vouloir dire deux choses. On s'en fout, de l'épouvantail Mélenchon que vous balancez entre les jambes de quiconque de gauche passe à votre portée. Foutez-moi la paix avec cette question. Je ne joue pas. Mais cela peut aussi vouloir dire : on s'en fout de savoir quel jeu il joue, lui, avec Matignon, ces "je suis capable mais"
, ces "je ne m'élimine pas et je ne m'impose pas"
. On s'en fout de lui, il est derrière nous, il n'est plus notre problème ni notre solution. Ou les deux à la fois.
Sur le moment, on n'a pas le temps de se poser la question. Ce qu'on entend, ce sont les sanglots étouffés dans la voix de Marine Tondelier, quand elle balance à Bruno Le Maire son comportement "de lâche et de privilégié"
, parce qu'il a précisément annoncé, en dissidence du mot d'ordre du jour de la macronie, qu'il ne choisirait pas entre un candidat LFI et un RN. Des sanglots qui viennent de loin, précisément de Hénin-Beaumont, où vit la cheffe de EELV, et où elle se collette au RN depuis toujours.
On peut reprocher à Marine Tondelier de détourner la question, de ne pas défendre Mélenchon sous le feu des accusations mécaniques d'antisémitisme. On peut lui reprocher de tirer argument de la certitude de la défaite, ce qui s'appelle du défaitisme. Mais dans les sanglots étouffés, désarroi et colère mêlés, indissociables, je trouve à cet instant-là que Marine Tondelier exprime tout simplement la gauche, ma gauche à moi.
Simplement et fugacement. Dans mon tweet, je prends soin d'écrire "à ce moment précis"
. Car je sais que ça va vite. Très vite. Et voilà le soir, sur TF1, que la même Marine Tondelier, dans la même veste verte, après une interview et un portrait en mode "nouvelle star" dans Libé
dans la journée, et après avoir été blackboulée d'un débat sur BFM sur ordre de Bardella, prenant acte de la même défaite annoncée, tend la main, pour demain, aux débris de la macronie et de la droite. Et elle le fait (selon moi) moins habilement que Ruffin, qui a dit la même chose le matin, mais en posant d'emblée, lui, ses conditions à la constitution d'une "grande coalition" (rétablissement de l'ISF, instauration du RIC, abrogation de la réforme des retraites). Et laissant à la droite le lourd manteau d'être "ceux qui disent non". Et voilà que dans mon Panthéon personnel, ma nouvelle star dégringole, aussi vite qu'elle est montée. Jamais on n'est passé aussi vite de tondelmaniaque à tondelsceptique.
J'essaie d'expliquer. Un de mes deux hémisphères sait bien qu'à partir de dimanche soir, si le RN ne décroche pas la majorité absolue, commenceront, entre une partie de la gauche, la macronie et la droite, les négociations, les tractations, les concessions, les renoncements, qui s'étireront sans doute une bonne partie de l'été. Cela se fera dans le désordre, l'opacité, les invectives, les postures, l'hypocrisie et la honte. Ce sera moche, très moche, d'autant plus minable que cela se déroulera sous le feu de l'adversaire privé de sa victoire, qui aura beau jeu de hurler au déni de démocratie. Pascal Praud s'en pourlèchera chaque matin, s'il n'est pas parti en vacances.
Sans doute pour toutes ces raisons, mon autre hémisphère, celui va aller voter dimanche, ne veut pas en entendre parler. Pour rien au monde. Il va voter, non seulement pour éliminer le RN, mais en prime pour la gagne, Mesdames Messieurs. Pour ce rêve fou d'une majorité absolue du Front Populaire, une majorité de justice sociale, qui augmente le SMIC, rétablisse l'ISF, et rétablisse les services publics où ils ont disparu. Sur la "grande coalition", les "majorités de projets", "l'Assemblée plurielle", je suis dans le déni. Je ne veux pas savoir. Je suis Bompard, je suis Rousseau. Gagnons d'abord ce que nous pouvons gagner, et laissez-moi mon rêve pour quelques jours encore.