Dans le soulagement, ne pas oublier Bolloré
Daniel Schneidermann - - Obsessions - 194 commentaires
"Hanouna casse-toi !"
crie la foule de la République au soir du 7 juillet. Pas Macron, ni Attal, ni Le Pen, ni Bolloré. Non. Hanouna. Lointains souvenirs d'un certain 10 mai 1981, sur la place voisine de la Bastille. "Elkabbach à la météo, Duhamel à la poubelle !"
scandait la foule de gauche sous un crachin inopportun, insuffisant à noyer les coeurs en fête. Après une traversée du bac à sable, Jean-Pierre Elkabbach, ci-devant directeur giscardolâtre de l'information d'Antenne 2, connut une belle carrière de mitterrandolâtre avant de finir chez Bolloré. Quant à Alain Duhamel, à l'heure des "Hanouna casse-toi"
, il rosissait d'extase sur BFM, savourant en gourmet "la plus grande surprise de toutes les élections que j'ai connues"
. Avec un Hollande multi-plateauïsé, quasi-revenu à "mon ennemi c'est la finance"
, c'est une des plus jolies images de la soirée.
L'effroi RN dissipé comme un mauvais cauchemar, les jours et les semaines qui viennent vont constituer une guirlande de Noël pour le journalisme politique. Rumeurs, débauchages, postures, savants calculs de majorités hypothétiques, vont remplir les journées de délectables rebondissements. Au "tout le programme, rien que le programme du NFP"
de Mélenchon dimanche soir, sans majorité, vont s'opposer les tentatives d'Ensemble de construire une majorité sans programme. Pas d'autre horizon pour le NFP que de décrocher des Ensemble (une centaine, ça fait beaucoup). Pas d'autre possibilité pour Ensemble que de s'agglomérer tous les LR, et de décrocher des NFP (mais d'ailleurs quel Ensemble ? Ensemble Attal ? Ensemble Philippe ? Ensemble Darmanin ? Ou tous ensemble ?)
A moins que se pratique le décrochage temporaire, provisoire, d'alliés intérimaires. On appelle ça, paraît-il, "des majorités de projet"
et Glucksmann va répétant que cela fonctionne très bien au Parlement européen. Sans doute, mais au Parlement européen, ces "majorités de projet" n'ont pas besoin d'être portées par un gouvernement. Ici, il va bien falloir en constituer un. Si je peux me permettre un conseil, le NFP serait bien avisé de prendre Macron de vitesse, et de proposer un nom pour Matignon, sans lui laisser le loisir de piocher à son caprice la solution la plus tortueuse.
Reste que si l'effroi est dissipé dans l'immédiat, et qu'on va pouvoir savourer la fin du Tour de France et les JO, plus de dix millions d'électeurs ont voté pour le parti de la haine et du racisme. Ceux-là le veulent. Ils le veulent vraiment, en tout cas une bonne fraction d'entre eux (lire ce qu'en écrit l'écrivain Mohammed Bougar Sall, Goncourt 2021). Leur haine a été renforcée par ce Front Républicain qu'ils estiment, pas totalement à tort, leur avoir volé leur victoire. Toute compromission, toute tentative de tricher avec le programme NFP, les renforcera dans leur dégoût et leur détermination, et d'autant plus qu'elle sera tympannisée par les télés et les journaux Bolloré, et tous leurs suivistes.
ne pas oublier bolloré
Bolloré, justement. S'il est peu probable que Hanouna s'expatrie à Miami ou à Dubai, n'oublions pas, à l'heure du soulagement, le milliardaire qui a jeté toutes ses forces dans la bataille du racisme, jusqu'à tenter de truquer le vote, avec la publication vendredi soir par son JDD, à deux heures de la période de réserve, d'une fake news trumpienne : "le gouvernement s'apprête à suspendre la loi sur l'immigration"
. Traduction : ce gouvernement vendu à la gauche s'apprête à vous trahir. Cet épisode est d'une gravité qui n'a rien à voir avec les précédents forfaits de Bolloré. Il est plus grave encore que d'avoir parachuté Hanouna, deux semaines durant, sur l'antenne d'Europe 1, pour y porter la parole d'extrême-droite. Cet aventurier s'est montré prêt à sacrifier son groupe de presse pour porter l'extrême-droite au pouvoir.
Ce qui nous ramène aux fameuses "majorités de projet". La loi de 1986 sur la concentration de la presse est à l'évidence obsolète, puisqu'elle n'a pas empêché un seul homme de s'emparer de trois chaînes de télévision, d'une radio, de deux hebdomadaires influents, et d'un puissant groupe d'édition. Seule la lâcheté collective des politiques, et notamment de la gauche, devant le pouvoir de nuisance de ce groupe, a pu laisser prospérer cette situation. Sous l'impulsion de l'économiste Julia Cagé, Benoit Hamon, lors de la campagne de 2016, en avait fait un de ses thèmes. Depuis, pfuit, plus rien.
Une véritable loi contre la concentration des médias devrait être une des priorités d'un gouvernement de Front républicain animé par le nouveau Front Populaire, ce qui, soit dit en passant, contribuerait à dissiper les soupçons de "magouilles" que générera automatiquement la constitution d'une telle alliance. Premières cibles visées par la fake news, un Attal ou un Darmanin s'y rallieraient peut-être (on peut rêver). En attendant, il est permis d'espérer que l'ARCOM, qui doit renouveler ce mois-ci les concessions de la TNT, dont CNews
et C8
, multi-sanctionnées, a entendu le message. Ennemi de la démocratie, Bolloré doit d'urgence être traité comme tel. C'est une question de survie, non seulement pour la gauche, mais pour la démocratie.