BFM : Victime palestinienne, accusez-vous !

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 91 commentaires

"Comment vivez-vous ce 7 Octobre ?" La première question de Marschall-Truchot est neutre. Ouverte. Prudente. Comme lorsqu'on ne sait pas encore à quelle sauce on va cuisiner le client, quand on n'a pas décidé si c'est un gentil ou un méchant. Le client ? Rami Abou Jamous, journaliste palestinien de Gaza, refugié dans un camp avec sa femme et son fils Walid, deux ans. Pour préserver Walid, il lui fait croire depuis un an que les bombardements sont des feux d'artifice, comme Benigni dans La vie est belle. Apparemment, ça marche bien, comme on le voit dans un reportage que France 2 lui a consacré. Je vous avais parlé de lui ici, quand j'ai découvert ses récits, ses récits de journaliste, de père, de voisin, ses récits qui donnaient enfin une voix humaine aux "victimes palestiniennes".

"Aujourd'hui c'est la commémoration de ce pogrom organisé par le Hamas. Justement ce 7 Octobre  comment vous le vivez, vous ?" Autrement dit, le client a sa chance. Il peut encore se ranger dans le camp des bons. En duplex depuis son camp de réfugiés, son teint blafard éclairé à la lampe tempête contrastant avec le joli teint rose du journaliste en studio, Rabil Abou Jamous répond : "on le vit tous les jours depuis un an". "C'est à dire ?"  C'est à dire, tous les jours la terreur, les bombardements, la vengeance aveugle, la destruction totale, les massacres, encore aujourd'hui un enfant de trois mois tué. Et tous les soirs l'incrédulité d'être encore en vie. Bon. Très bien. "Mais est-ce que vous en voulez au Hamas d'avoir déclenché cette guerre. Est-ce que vous condamnez ce qu'a fait le Hamas le 7 octobre ?"

Voilà. On en tient un. Son statut vient de se préciser. Ce n'est pas la victime qu'interroge BFM. Ce n'est pas un des rares journalistes palestiniens miraculeusement survivant de l'hécatombe (plus de 160 journalistes tués depuis un an). C'est le complice potentiel, même passif, du massacre. Il vient d'intégrer la grande famille des "Est-ce que vous condamnez ?" (l'incendie de la médiathèque, l'occupation du rond-point, les violences dans la dernière manif, les concerts de casseroles, la dernière déclaration antisémite de Mélenchon, les sifflets contre le président de la République, etc). Ces civils gazaouis dont certains, dans l'enthousiasme, ont franchi eux aussi la clôture le 7 octobre dans la foulée des combattants du Hamas, dont certains ont sans doute pillé et massacré, on va pouvoir enfin tenter de cerner jusqu'à quel point ils sont complices collectivement, donc cibles légitimes de l'extermination.

Evidemment, du fond de son camp de réfugiés, l'invité est inaudible, avec son pauvre argumentaire historico-politique disqualifié d'avance, ses rappels de 2014, de 1948. Truchot-Marschall :  "Le conflit israélien effectivement n'a pas démarré le 7 octobre, mais en quoi ça justifie, euh, de massacrer, euh, de viser, euh, des, des Juifs, le 7 octobre ?" Si on n'était pas épuisé depuis un an, il faudrait, aujourd'hui encore, reprendre chaque mot des questions de BFM. "Ce pogrom", plutôt que "cette attaque terroriste". "Viser des Juifs", et non pas "des Israéliens", etc. Recenser inlassablement comment le vocabulaire de la propagande israélienne s'est incrusté inextricable dans le "parler BFM". "Il y a des otages, qui n'ont pas encore été libérés. La guerre pourrait s'arrêter". L'intégralité des questions de l'interrogatoire a été montée ici, bout à bout

Comment Rami Abou Jamous saurait-il que l'enjeu d'un tel exercice ne consiste pas à répondre le plus pertinemment possible à des questions qui ne sont pas des questions, mais à s'emparer du pouvoir dans le dispositif, par n'importe quel moyen, pour le retourner contre ses propriétaires, comme par exemple le même jour Rima Hassan, face aux mêmes Truchot-Marschall.  Les projecteurs éteints, quand tombe le soir, lui restera à simplement reprendre le fil de son récit, ce récit insupportable pour BFM.



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