Zemmour-Pétain : balle perdue à Public Sénat

Pétain encore. C'est à propos de Pétain, que la patronne des documentaires de Public Sénat, Hélène Risser, arrivée sur la chaîne en 2006, vient d'être sèchement licenciée, comme l'a révélé le Monde. Qu'a donc craint le directeur de la chaîne, Christopher Baldelli, qui justifie un acte d'une brutalité inhabituelle à la télévision publique ?

À l'automne dernier, Public Sénat diffusait le documentaire – remarquable – d'une jeune étudiante en statistiques, Youssr Youssef, consacré à René Carmille, un hacker sous l'Occupation. Qui est Carmille ? Le créateur en 1940 du service national des statistiques, futur Insee. Personnage ambigu – comme l'époque –, obsédé de statistique et de mise en fiches perforées, soupçonné d'antisémitisme, mais aussi dont l'objectif caché consistait à préparer, à l'abri du regard des nazis, un fichier des militaires français mobilisables pour le jour où sonnerait l'heure de la revanche de 40. 

Dans cette tâche, il est attesté que Carmille bénéficiait de discrets soutiens à Vichy, rappellent plusieurs historiens dans le documentaire. Bénéficiait-il aussi d'un feu vert de Pétain lui-même, après l'avoir personnellement rencontré "à l'été 40" ? C'est ce qu'affirmait le fils de Carmille, aujourd'hui décédé, rappelle le film. Mais il n'existe aucune trace du soutien personnel du maréchal. C'est cette courte séquence d'une minute et vingt secondes, dont le directeur Baldelli a exigé la coupe, coupe acceptée et effectuée par Hélène Risser, et le producteur du documentaire.

Un incident banal, dans la vie du documentaire d'enquête à la télévision, où des assertions insuffisamment étayées – comme celle-ci – doivent parfois être coupées. Alors pourquoi, quelques mois plus tard, ce licenciement brutal d'une responsable ayant programmé nombre de documentaires de qualité ? Risser a-t-elle irrité, en mettant en ligne sur les réseaux sociaux des extraits de son émission Has#tags, qui dissèque les éléments de langage des responsables politiques (elle a été à bonne école en passant par Arrêt sur images, période France 5) ?

Plus vraisemblablement, Baldelli (qui n'a pas répondu à ASI) a pu craindre d'être rattrapé par sa propre complaisance envers Zemmour, dans son précédent poste de président du directoire de RTL. En 2014, i-Télé se sépare du chroniqueur Zemmour, qui vient de déclarer au Corriere de la Sera que "les musulmans vivent entre eux dans les périphéries, les Français sont obligés de s'en aller" (déclaration condamnée en première instance et en appel, peines cassées ensuite par la Cour de cassation). Interrogé par plusieurs médias, le dirigeant de RTL justifie sa propre décision de lui maintenir la chronique quotidienne. "Arrêtons la pensée unique et le consensus factice",lance-t-il au Monde. "Ceux qui l'assimilent au parti de Marine Le Pen ont tort : c'est un souverainiste de droite qui regrette une certaine grandeur de la France"explique-t-il à l'Obs. "Zemmour est un intellectuel, sûrement pas un politique" confirme-t-il à Médias le magazine. Au Républicain Lorrain, il évoque aussi, outre les ventes des livres du polémiste, "la liberté d'expression".

Quel rapport avec René Carmille ? Incontestablement, en diffusant un documentaire laissant entendre que le maréchal aurait pu, même sur un point particulier, "jouer double jeu", Public Sénat aurait renforcé la thèse, historiquement infondée, du "glaive et du bouclier", selon laquelle se serait opérée, dans la résistance à l'occupant, une répartition implicite des rôles avec De Gaulle. Thèse révisionniste à laquelle s'est ralliée Zemmour, dans son œuvre de réhabilitation de Vichy. De là, pour Baldelli, à se voir rappeler et reprocher sa complaisance sur RTL… En attendant, la victime de la balle perdue se nomme Hélène Risser.