Yoga : adieu zénitude ?
Daniel Schneidermann - - Complotismes - Le matinaute - 123 commentaires
Les yogis ne sont plus zen. Plus zen du tout, après une enquête du Monde
, publiée le 22 août, et titrée "Le yoga, nouvelle porte d'entrée aux dérives complotistes et sectaires"
. Résumant une enquête de la Miviludes (Mission interministérielle et vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), le journal pointe notamment des passerelles entre la yogisphère et la mouvance antivax / antipass.
Ainsi, apprend-on à la lecture, "Navjeet, professeur de yoga à Nantes, explique sur son blog comment
« neutraliser un vaccin »
en utilisant des aspivenins, cataplasmes et traitements à base de minéraux et de vitamines, ou en effectuant des séries détoxifiantes de postures de yoga. Comme environ deux cents professeurs de yoga en France, il s’est même inscrit sur un site Internet réunissant les professionnels et lieux qui refusent d’appliquer les règles liées au passe sanitaire, qui se présente comme une
« réponse à l’apartheid vaccinal ».
Sur ce site, "l
a plupart n’obligent pas non plus à porter le masque ou à utiliser du gel hydroalcoolique,
décrit dans les sphères antivaccins
comme un ennemi de la
« barrière immunitaire naturelle des mains
»
"
.
Plus particulièrement visée par la Miviludes et Le Monde
, la tendance du sunyoga, "
méthode qui permet de se connecter au divin grâce au soleil »
et qui
« inactiverait »
le coronavirus. Parmi les membres et dirigeants de la branche française, plusieurs militent ouvertement contre les vaccins et le passe sanitaire et partagent sur les réseaux sociaux des messages de « gilets jaunes », mais aussi du leader d’extrême droite Florian Philippot, du réanimateur controversé Louis Fouché, ou de La France insoumise…"
Comme on pouvait l'anticiper, de nombreux pratiquants du yoga, dans les commentaires de l'article, se sont indignés de son caractère généralisateur (160 signalements en 2020, le double par rapport à 2017), et du raccourci de son titre, qui ne mentionne pas que ces informations émanent de la Miviludes, récemment rattachée au ministère de l'Intérieur, et plus particulièrement aux services de Marlène Schiappa.
Échantillon. "Le yoga , qui peut devenir une secte , fallait oser .... dès que tu sors du triptyque consommation , travail et pensée unique , on fait tout pour te ramener vers le droit chemin !" "
Avec cet article, vous discréditez toute une profession. Le yoga contient une multitude de courants divers et variés . Le résultat est que de nombreux professeurs de yoga sérieux et
"non allumés" vont subir une baisse de fréquentation de leur cours"
. "Aujourd’hui, à moins d’être dans une norme pré-calibrée par des énarques, tout choix de vie diffèrent est maintenant critiquée et passée au crible!"
Et enfin, "cet article m’inquiète, autant que le rattachement de la Miviludes au ministère de l’Intérieur. Le classement des opinions et comportements un peu marginaux sous l’appellation de dérive sectaire est emblématique d’une tendance au rétrécissement de l’espace de liberté personnelle et du droit à l’expression des convictions qui est inquiétante pour nous tous"
. Colère d'autant plus vive que Le Monde
, au début de l'été, avait publié une série d'enquêtes jugée au contraire très indulgente sur l'anthroposophie et les écoles Steiner.
Mécanique incontournable des forums, cette première salve de réactions a suscité une riposte d'anti-yogas, abondant dans le sens de la Miviludes et du Monde
. L'ensemble (article, salve, et riposte) est très instructif. Au-delà du mécanisme politico-médiatique traditionnel de la loupe posée sur des cas statistiquement non significatifs, et d'une trouvaille sémantique provocatrice promise à un bel avenir - la "conspiritualité"
- l'article et ses réactions éclairent utilement certains ressorts des manifestations antipass du samedi. Ils révèlent le soubassement imaginaire d'une nouvelle fracture : sur fond de pandémie, le premier choc frontal, violent, irréductible, entre des médecines douces, des thérapies alternatives du bien-être en plein essor, et l'obligation vaccinale, si triste, si froide, si désenchantée.