Vie et mort d'une bonne vanne

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 86 commentaires

C'est l'histoire d'une bonne vanne. Née du désoeuvrement d'un week-end, comme souvent les idées, bonnes ou mauvaises.

Nous sommes donc samedi, je baguenaude sur mon réseau social addictif préféré, slalomant entre les proclamations d'enthousiasme des animateurs de radio en veille de rentrée, et soudain apparait cette réaction de fond à notre émission-rattrapage de rentrée.

Je ne sais quel coquin de sort me pique, je réponds ça. 

Cette vanne est ce qu'on appelle une vanne référencée. Seuls la comprendront ceux qui ont suivi une certaine péripétie, sur notre plateau, avant les vacances. Mais il est vrai qu'ils sont assez nombreux.

Ne me demandez pas pourquoi ni comment. Les bonnes vannes viennent toutes seules, sans prévenir, sans autre prétention que d'être une bonne vanne -en d'autres siècles, on aurait parlé d'un mot. S'il faut absolument qu'elle vise quelqu'un ou quelque chose, alors elle vise seulement une situation absurde, une situation de nonsense. Je ne me moque de personne d'autre que de ma propre prise à contrepied, à cet instant-là, sur le plateau.

La bonne vanne est vite saluée par quelques experts en bonnes vannes, apparemment camarades en désoeuvrement du week-end, comme Médine ou Yassine Belattar. Là-dessus, je pars profiter de la soirée le long de la Loire, sur l'île de la Métairie exactement, avec ses  plages de rêve qui s'étalent entre Tours et Montlouis. Et là, sur le sable, mon portable commence à chauffer sous les J'aime et les retweets. Il parait que cette bonne vanne n'est pas seulement une bonne vanne. C'est du "génie". C'est un "best troll ever". Les compliments pleuvent. L'éclat de rire général suscité par ma bonne vanne semble faire rire jusqu'aux mouettes (souvent rieuses, il est vrai).

Bref, à l'heure où j'écris, cette bonne vanne culmine à 3129 retweets, 7704 J'aime, et 902 188 impressions, c'est à dire qu'elle a été lue autant de fois. Inutile de dire que c'est mon record absolu. A titre de comparaison, ce retweet d'une alarmante enquête du Monde sur les conséquences du bouleversement climatique en haute montagne a royalement atteint 3 retweets et 13 J'aime. Pour sa part, cet autre retweet de la chronique de rentrée de Sherlock Com', sur le coq de Christophe Castaner et le chat de Yannick Jadot, a fait mieux, avec 17 retweets et 19 J'aime. Mais on est loin des cîmes.

Je suis au regret d'annoncer à ma bonne vanne qu'elle n'atteindra jamais le million de vues. Dès que cette chronique aura été mise en ligne, je vais euthanasier ce "best troll ever". J'aurais du mal à dire exactement pourquoi. Pas seulement parce qu'une poignée de twittos (on les compterait sur les doigts d'une bonne main) m'a reproché de faire de la transphobie. Mes intentions sont pures, et exemptes de transphobie. Il me suffit de le savoir. Mais cet éclat de rire général me semble vaguement suspect. Pour que cette petite vanne de rien du tout ait déclenché tant de réactions, il faut bien que certains lecteurs (pas tous, hein) y aient lu ce que je n'avais pas souhaité y mettre. Il y a forcément malentendu quelque part. Je n'en connais pas exactement la nature ni l'ampleur, mais je sais qu'il y a malentendu. Comme disait un spécialiste de l'édition, au-delà de 5000 exemplaires vendus, tout succès repose sur un malentendu. Et sans certitude sur la nature du malentendu, je préfère, puisque mon réseau addictif préféré m'y autorise, supprimer la source de ce malentendu. Salut, ô ma bonne vanne, tu as vécu ce que vivent les roses, tu auras eu une belle vie. A bientôt, au paradis des rires innocents.

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