Velibiens, autolibistes, et trottinomanes

Daniel Schneidermann - - Numérique & datas - Le matinaute - 26 commentaires

"Mais quand ? Des semaines ? Des mois ? Ce n'est pas la même chose !" Ce matin, Guillaume Erner a vraiment envie de savoir. C'est beau, la voix d'un journaliste, quand elle vibre d'une sincère, d'une authentique curiosité, quand décrocher une réponse précise est pour lui, pour elle, une question de vie ou de mort.  Aussi longtemps qu'il n'aura pas de réponse, il ne laissera pas repartir son invité, l'adjoint à la maire de Paris, venu ce matin au micro de France Culture. "Mais quand ? Des semaines ? Des mois ?" Oui, c'est vrai, quand, quel jour, à quelle heure, arriveront enfin à Paris les nouvelles offres de voitures en libre-service, succédant à Autolib, dont le service va s'interrompre très prochainement, pour cause de déficit abyssal, et sur fond de guerre judiciaire probable entre Bolloré et la mairie de Paris (avocat de Bolloré, décidément, ça devient une spécialisation à part entière. Il faudrait ouvrir des cursus dans les facs de droit).

Fiasco des Velib, Fiasco des Autolib, vélos en libre-service, guerre des taxis et des VTC, et maintenant apparition annoncée des trottinettes électriques à Paris : les bouleversements de "l'offre de mobilité" (il parait qu'on dit comme ça, plutôt que "transport") sont, depuis quelques mois, surmédiatisés dans la presse nationale. Il est vrai que le sujet est intéressant : se saisir du bidule où l'on le trouve, l'abandonner où on veut, avec applis, codes perfectionnés, et tout et tout) : on est au coeur de la révolution numérique.

Mais cet intérêt ne suffit sans doute pas à expliquer la surmédiatisation du sujet. Il faut bien croire que la majorité des journalistes de la presse nationale vivent à Paris et dans ses environs immédiats. Et derrière ces débats enflammés entre pro et anti-Hidalgo, derrière ces billets assassins, derrière ces interviews pugnaces, se lit le haut degré de concernitude des auteurs. Pour être détenteur d'une carte de presse, on n'en est pas moins cycliste, piéton, scooteriste, autolibien, automobiliste, trottinomane potentiel, adepte ou allergique aux pistes cyclables (pour une parfaite transparence, je précise que le matinaute, naguère vélibien enthousiaste, a dû se replier sur un dialogue exclusif avec son scooter, depuis le fiasco que l'on sait).

Ce matin, outre l'apocalypse des Autolib, c'est la trottinette qui, de France Inter à France Culture, électrise les antennes. Toutes les radios trottinent. Ils se chambrent, ils s'y voient tous déjà, alors Marie-Amélie, demain on vient en trottinette ? C'est à cette allégresse, à ces petits tremblements d'excitation, que se déconstruit une fiction, et se rappelle une réalité : les auto-désignés "médias nationaux" sont bien, cruelle vérité, avant tout des médias parisiens.


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