Lui, moi, et la primaire

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 122 commentaires

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La voix a retenti dans le parking désert.

- Alors, fier de toi ?

Je me suis retourné. Personne. Le quatrième sous-sol était vide, comme chaque matin à l'aube, quand je vais retrouver mon scooter, pour qu'il m'emmène vers mes trépidantes aventures du jour.

- Fier de toi, vraiment ?

Une voix un peu dure, vaguement mécanique, mais pas hostile. J'allais tourner la clé. Je l'ai regardé droit dans le pare-brise. C'était bien lui, qui s'adressait à moi. Lui, mon scooter. Mon vieux compagnon, jusqu'alors si discret. A peine une panne de batterie de temps en temps, au retour des vacances. Les atteintes de l'âge. Sinon, un modèle de docilité et de fidélité.

- Eh bien voilà, tout le monde ne parle plus que de ça. Est-ce que les électeurs de gauche doivent aller voter à la primaire de la droite ? Le pour, le contre, le entre les deux. Le vote de conviction, le vote tactique. On n'entend plus que ça. Tu es fier de toi ?

Pas d'erreur, c'était lui, qui m'interpellait. De bon matin. Sur la primaire de la droite. Et du centre.

- Et du centre, ai-je stupidement répliqué. La primaire de la droite et du centre.

Je me justifiais déjà. Devant un tas de ferraille et de plastique. J'ai bafouillé :

- Je ne savais pas que tu lisais mes chroniques. Et tu exagères. Cette fameuse chronique, je l'avais écrite sur le registre de la blague.

- La blague ? Tu plaisantes. Tu ne vas pas, maintenant, te réfugier derrière l'humour. Tu étais très sérieux. Et d'ailleurs, tu as été cité sur BFMTV. Et par un possible Premier ministre. Sur BFM, tu réalises ?

C'était vrai.

J'ai tenté de dévier.

- Depuis combien de temps tu t'intéresses à la politique ?

- Je te connais mieux que tu n'imagines. Je sais à tes coups d'accélérateur, à tes coups de frein, à tes dépassements de lignes continues, à tes slaloms, si tu es nerveux ou paisible, angoissé ou en règle avec toi-même. Sans compter que je connais tout de tes petits secrets. Nous autres les scooters, si un jour on disait tout ce qu'on sait...

J'ai préféré ne pas comprendre l'allusion. Discutailler avec son scooter, passe encore. Mais j'ai toujours étré résolument opposé au chantage.

- Et...tu t'intéresses à la politique ?

- Bien obligé. C'est toi, qui m'as mis en pleine lumière, avec cette fameuse chronique. Moi, je ne demandais rien. De fil en aiguille, je me suis intéressé. Et je vais te dire : je n'ai aucun scrupule à me mêler de vos affaires. Avec ce que vous avez fait de la démocratie, vous les humains, y compris en Amérique, il est bien temps qu'on dise notre mot, nous autres du règne mécanique. Quand je pense à Trump et Clinton...

C'était trop.

- Mais enfin, tu ne vas tout de même pas me coller Trump et Clinton sur le dos ?

J'entendis un imperceptible ricanement.

- Tu as écrit le contraire hier. Tous responsables. D'ailleurs, même tes confrères les humains américains trouvent que ça va trop loin. Le second débat américain a fait vingt millions de télespectateurs de moins que le premier. Méfiez-vous, vous autres journalistes. La politique poubelle va bientôt déborder.

- Mais enfin ! Je l'ai toujours dit. Nous avons d'ailleurs publié hier un article sur les petits candidats américains, dont personne ne parle !

Non seulement c'était un scooter parfaitement fiable, mais un redoutable dialecticien. Et parfaitement informé. Et doté d'un sens saisissant de la formule. Je n'allais pas m'en tirer à si bon compte.

(à suivre)

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