Une récré à Tourcoing
Daniel Schneidermann - - Financement des medias - Le matinaute - 118 commentaires
C'est une photo surgie au lendemain du déconfinement. Dans une cour de récréation, des enfants de maternelle sont assis, chacun dans son carré. L'image évoque le camp, le parquage, la claustration. C'est une balle aux prisonniers sans balle, avec seulement des prisonniers. Elle est insoutenable. "Inimaginable"
est le seul mot qui me vient à l'esprit à cet instant.
Inimaginable. https://t.co/6YVPLAHKbV
— d_schneidermann (@d_schneidermann) May 12, 2020
Dès l'apparition de cette photo sur mon réseau social préféré, surgissent des doutes : où a-t-elle été prise ? Elle est authentique ? N'est-ce pas encore une fèqueniouze anti-Blanquer, pour souligner les horreurs d'une réouverture trop hâtive des écoles ? En fait, la photo a été prise à Tourcoing, par un journaliste de BFM, Lionel Top.Brut
l'a retrouvé, et interrogé. "On avait vu ces carrés vides en arrivant. Puis, vers 10 heures, une classe est en récréation, on les retrouve, et des enfants sont dedans. Ils sont assis au moment où je fais la photo, et ça fait bizarre.".
"Je suis le seul à être mal à l'aise ?"
a demandé le journaliste à la directrice de l'école. "Il y a un moment de silence, et elle me répond que non"
.
Première conclusion : la photo a bien été prise dans une école française, le 12 mai 2020. Seconde conclusion, cette récréation, telle que racontée par le journaliste, est moins dramatique que ce que laisse penser la seule photo. "Il y a une auxiliaire avec les enfants,
raconte Lionel Top. Elle fait des animations. Allez on saute dans le carré, on se lève, on s'assied. L'image est traumatisante pour nous, mais ils jouent, comme peuvent jouer des enfants de trois ou quatre ans"
.
Cette école de Tourcoing s'est-elle, comme le suggère le nouveau mot d'ordre de la Résilience Joyeuse, "réinventée"
(voir le matinaute d'hier) ? Comme le travail, comme le gin Tonic (merci L'Obs), comme une fromagerie de Mont-de-Marsan, comme une chaîne de pizzerias qui s'est résignée à la vente de pizzas en carton, ou comme l'hôpital, à propos duquel, dans le cadre de la réinvention en cours d'Emmanuel Macron, l'Elysée explique au Monde
qu'il faut "revisiter"
tous les chantiers, et "réappréhender tout un système de santé
" ? Si l'école de Tourcoing s'est "réinventée", c'est sans prononcer le mot. Ni convoquer, à cette fin, les caméras.
Lâchage ? Libération ? Comment qualifier la fin de l'histoire entre Patrick Drahi et Libération
? Drahi cède Libé
à une "fondation à but non lucratif", qu'il dotera, en cadeau de rupture, d'un montant "substantiel"
(mais non précisé). Rupture relative : deux dirigeants d'Altice siégeront au Conseil d'Administration de la nouvelle fondation. Si je comprends bien (mais je ne suis pas certain d'avoir tout compris, pas davantage que mes collègues du journal qui, au terme d'une Assemblée générale en visio, ont demandé quelques précisions), le journal renouera donc avec son indépendance financière d'avant Rothschild, avec ses délices (s'affranchir de l’infamante étiquette de la presse des milliardaires), et ses périls : en cas de poursuite des pertes (40 à 50 millions à ce jour, que Drahi se propose d'éponger), il ne sera plus question de chercher un nouveau repreneur. "Allez hop, on se réinvente !"
Drahi ne l'a pas dit ainsi, mais c'est l'esprit.