Une phobie de rentrée
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 475 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
C'est un bagne, en plein XXIe siècle, dont les medias passent trop souvent l'existence sous silence.
Et pourtant, ses hauts murs se dressent au coeur de nos villes. Nous côtoyons chaque jour ses victimes pantelantes dans les rues, devant les pains au chocolat des boulangeries, parfois même dans nos foyers. Ce bagne, c'est l'Ecole. La petite, la secondaire, la supérieure. Vermine, cafards, corvées, humiliations : heureusement, un jour par an, surgissent dans les radios et les télés quelques dizaines d'Albert Londres qui se dressent pour dénoncer le scandale.
Les ravages de l'école, en cette rentrée 2013, ont un visage : Justine Touchard. Vous n'avez pas vu Justine Touchard ? Cette victime de la "phobie scolaire" est pourtant passée dans le journal de Pujadas, chez Calvi sur RTL, chez le docteur Cymes bien entendu, et ce matin encore elle était l'invitée de Clara Dupont-Monod sur France Inter. Justine Touchard a vécu l'enfer : un matin, elle n'a pas pu aller au collège. Parmi la "chaîne d'incidents qui a déclenché ce blocage", selon les termes de France Télévisions, le site relève par exemple une certaine timidité en maternelle, "d'énormes zéro au stylo rouge" au CM2 "sans un mot d'encouragement", une orientation en filière professionnelle, sans parler de quelques anniversaires catastrophiques, et "d'une fréquentation souvent solitaire de la cantine".
Pourquoi s'est-il trouvé un éditeur (Flammarion) pour publier ce témoignage ? Pourquoi toutes les rédactions de France ont-elles transformé Justine Touchard en marronnier de rentrée ? Et le témoignage de la jeune Justine est-il véritablement le plus éclairant sur les défauts persistants (et réels, bien entendu), de l'école française ? Pendant que France Inter ouvrait son antenne à la jeune fille, s'adonnant à un des exercices favoris des medias -la psychologisation d'un phénomène social- France Culture, sans rescapée pantelante, avec le simple concours de spécialistes du secteur, nous rappelait comment le système français, sous son masque égalitariste, est entièrement tourné vers la reproduction des élites.
Sans doute l'identité sociale de la jeune fille apporte-t-elle un début de réponse à ces questions : Justine est la fille d'une journaliste de Challenges, Anne-Marie Rocco. Elles ont d'ailleurs co-écrit le livre. Sans doute ne faut-il pas chercher plus loin les raisons du bon accueil confraternel réservé à son témoignage, au détriment de ceux de milliers d'autres "décrocheurs", sans doute sociologiquement plus représentatifs de l'inadéquation du système, mais qui n'auraient pas l'idée d'en faire un livre chez Flammarion, et n'ont pas de portables de journalistes dans leur répertoire. Bientôt sur vos écrans : comment le fils de Jean-Michel Aphatie a vaincu le mal de mer, le combat courageux de la nièce de Christophe Barbier contre sa phobie des souris, et le jour où le cousin de la voisine de François Lenglet a réussi à monter sur une chaise.