Un siècle plus tard, les fusillés pour l'exemple...

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 112 commentaires

Il est rare qu'un parlementaire sanglote dans l'hémicycle. Sans les larmes du député LR Philippe Gosselin, une séquence re-tweetée par Nicole Ferroni, je n'aurais sans doute pas entendu parler de l'adoption de la proposition de loi du député insoumis Bastien Lachaud "visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l’exemple » durant la Première Guerre mondiale". Tant d'autres sujets plus considérables, plus urgents, dans l'actualité. Tant d'autres périls. Mais les larmes forcent l'attention.


Sous l'appellation de "fusillés pour l'exemple", on regroupe pêle-mêle les soldats fusillés pour "abandon de poste en présence de l’ennemi, refus d’obéissance, désertion à l’ennemi, voies de fait envers un supérieur, capitulation en rase campagne et instigation à la révolte". "Maupas, Lefoulon, Girard, Lechat", cite Gosselin, ont été fusillés à Souain le 17 mars 1915, bien avant les fameuses mutineries de 17, donc. (Sur les circonstances de ces condamnations, voir ici). "J'ai l'honneur d'être le descendant, le petit-fils d'un officier de réserve qui les a défendus à la lueur d'une bougie dans une salle de classe, lui qui était catholique pratiquant".

Il aura fallu plus d'un siècle. Quatre générations, trois Républiques, un nombre incalculable de présidents et de gouvernements, mais l'État a toujours résisté à l'inscription des "fusillés pour l'exemple" sur les monuments aux morts. Quelques discours, pourtant, dans les dernières décennies, semblaient ouvrir la voie. Jospin en 1998, lors des célébrations du 80e anniversaire de l'Armistice : "Certains de ces soldats, épuisés par des attaques condamnées à l'avance, glissant dans une boue trempée de sang, plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d'être des sacrifiés". Sarkozy glissa aussi un mot en 2008. 

Mais rien sous Hollande, et en 2018 encore, Emmanuel Macron s'opposait à une réhabilitation collective. Pourquoi ? Les motifs du refus ne sont jamais exprimés publiquement. Si la douleur de l'injustice s'exprime, l'État profond est muet. On peut néanmoins les deviner : surtout, ne pas désavouer. Car réhabiliter les fusillés, c'est désavouer les fusilleurs. Au sortir de la guerre, ne pas désavouer les officiers et les politiques qui avaient ordonné et exécuté les condamnations. Puis, de génération en génération, ne pas désavouer ceux qui n'ont pas désavoué. Ainsi la douleur souterraine d'une injustice peut-elle se perpétuer plus d'un siècle. Jusqu'en 2022, à l'Assemblée, par 39 voix contre 26 (le même jour que la loi sur l'endométriose portée par l'insoumise Clémentine Autain, autre immense douleur si longtemps invisibilisée). Mais reste le Sénat. Restent des forces de blocage, encore embusquées.


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