Un rêve de putsch

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 310 commentaires

Quatre jours. Il aura fallu quatre jours au gouvernement -et aux médias- pour réaliser qu'une vingtaine de généraux (en retraite), mais aussi "une centaine de hauts gradés, et plus d'un millier d'autres militaires", selon Valeurs Actuelles, avaient publié le 21 avril dans l'hebdomadaire un appel au putsch militaire. Fustigeant "l'indigénisme", "les théories décoloniales", "les partisans haineux et fanatiques qui s'en prennent ( ...) par le biais de statues, à d'anciennes gloires militaires et civiles", le texte appelle le pouvoir à "éradiquer ces dangers", faute de quoi se produira "une intervention de nos camarades d'active dans une mission périlleuse (...) de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national". Deux jours plus tard, Marine Le Pen les appelait à la rejoindre.

Il ne manquait plus qu'un petit parfum de Chili. C'est long, quatre jours. Mais bon, le week-end, c'est le week-end. Après quatre jours enfin, une certaine Florence Parly, se souvenant peut-être qu'elle est ministre des Armées, a rappelé pédagogiquement, dans un texte envoyé à Libération, (seul journal à s'être étonné de ce silence) que "les Armées ne sont pas là pour faire campagne mais pour défendre la France".  C'est tout ? Oui, pour l'instant. Aucune déclaration télévisée, pas même un communiqué, pas même une confidence off du chef des Armées, un certain Emmanuel Macron. Le gouvernement s'est d'abord tû, considérant sans doute que l'affaire n'intéressait pas les Français (bien moins, en tous cas, que les réunions non-mixtes, et autres complots islamo-gauchistes). Il s'est rassuré en voyant que les "vingt généraux" vendus par Valeurs Actuelles étaient en retraite -on me glisse même dans l'oreillette que, n'ayant pas cliqué sur le lien de l'appel au cours du week-end, le cabinet de la ministre ne s'était pas avisé de la liste des autres signataires, et en a été averti lundi par un journaliste bienveillant.

On est loin du "hélas, hélas, hélas" gaullien, voici soixante ans presque jour pour jour, après le putsch d'Alger (date anniversaire qui n'est certainement pas un hasard). 


La seule réaction à la mesure de la situation est venue de Jean-Luc Mélenchon, qui a rappelé le seul élément à rappeler, avant toute littérature ou pédagogie : l'article 413-3 du code pénal, lequel punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende "le fait, en vue de nuire à la défense nationale, de provoquer à la désobéissance par quelque moyen que ce soit des militaires ou des assujettis affectés à toute forme de service national". On attend donc les suites pénales et disciplinaires de l'affaire, sans parler de l'enquête interne qui permettra de comprendre comment elle a pu se monter à l'insu de l'Etat-major. Désolé de n'avoir pas envie de rire.

On entrevoit trop bien les raisons de cette apathie. La semaine précédente, Valeurs Actuelles avait affiché en couverture une photo de Philippe de Villiers, avec cette citation "J'appelle à l'insurrection". Donc cet appel, qu'était-ce d'autre que le ronron verbal habituel ? D'autant que le général Piquemal, un des signataires, on le connait : il avait notamment été radié des cadres en 2016 après avoir organisé une manifestation à Calais contre "l'islamisation de l'Europe". Quant à l'initiateur  de l'appel, le capitaine Jean-Pierre Fabre Bernadac, L'Opinion rappelle opportunément qu'il est l'auteur d'un livre (publié à compte d'auteur) titré Les strings de l'Armée rouge, ouvrage consacré à répondre à cette grave question : "faut-il avoir peur des femmes slaves ?" De Praud à Rouquette, les ténors de la droite à flux continu se sont épuisés tout le week-end en dédramatisations doucereuses. Un appel au putsch ? Allons donc. On a rêvé. Peut-être. Mais ce ne serait pas la première fois que bouffonnerie et tragédie chevauchent ensemble.


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