Un livre qui reste à vérifier
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 23 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Donc, Sarkozy aurait un compte en Suisse. Comment donc ? Sarkozy, un compte en Suisse ? Mais non.
Pas si vite ! Vous vous emballez ! Relisez bien la première phrase. Quel est le mot le plus important ? Sarkozy ? Compte en Suisse ? Non. Le mot le plus important, c'est "aurait". C'est évidemment le mot que vous n'avez pas entendu, ou que vous avez le moins bien entendu, tant les autres mots de la phrase pètent aux oreilles. Sarkozy "aurait" un compte en Suisse, ce sont deux journalistes du Monde qui l'écrivent dans un livre.
Soyons précis : l'écrivent-ils vraiment, ou est-ce L'Express qui le fait dire au livre ? Les deux auteurs se défendront en expliquant que ces pages sur le compte virtuel Sarkozy ne sont qu'une toute petite, une minuscule partie du livre, qui porte sur tout autre chose. Ce seraient leurs intervieweurs, ces pervers confrères, qui braqueraient la loupe sur ce passage-là. Certes certes. Les exégètes exégèteront. Admettons qu'un gros titre "Trente ans après, Didier Schuller déballe", eut été moins vendeur. C'est ainsi : en dépit de son non-lieu, révélé par coïncidence le jour même de la sortie du livre, Sarkozy fait toujours vendre, avec son cortège de vilénies et de maléfices. Toujours est-il que les deux auteurs, nos deux valeureux confrères Gérard Davet et Fabrice Lhomme, bien connus de nos @sinautes, ne démentent pas ce conditionnel. Ils pensent bien que Sarkozy pourrait bien avoir un compte en Suisse. Dans tous les micros ouvertls, ils persistent et signent.
Quel serait le bon traitement de l'information réellement acquise par Lhomme et Davet ? On pourrait la résumer ainsi : des policiers tentent depuis des années de coincer Sarkozy sur son compte suisse, mais ils n'y sont jamais parvenus. Comme le monde est complexe ! Quand nous avons créé, dans nos vite-dit, une rubrique nommée "ça reste à vérifier", c'était justement dans le but de traiter ce genre d'informations en suspension : des indices mais pas de preuves, difficile de faire silence et de contribuer à une éventuelle Omerta, mais impossible d'affirmer. Comment traite-t-on ces informations en devenir ? Dans notre esprit, c'était le rôle d'un "méta-media" comme le nôtre, de dresser une sorte d'état des lieux des rumeurs en voie de consolidation (ou d'évaporation), de prendre date en quelque sorte, laissant aux médias de premier degré, solidement dotés en rédactions à trois chiffres, bardées d'investigateurs, le rôle de faire le boulot, c'est à dire les enquêtes longues et coûteuses, qu'il n'est pas dans notre vocation d'effectuer. Et voici que deux investigateurs du Monde publient aujourd'hui un livre qui reste à vérifier. Un livre à mi-chemin. Un livre "work in progress", en quelque sorte, appelant compléments et mises à jour, et qui brandit fièrement son étendard d'inabouti. Incontestablement, Aphatie aura du mal à leur réclamer "des preuves", puisqu'ils proclament qu'ils n'en ont pas. Mais il n'est pas certain que le statut du journalisme en sorte renforcé.