Twitter et Trump : la faute originelle

Daniel Schneidermann - - Intox & infaux - Nouveaux medias - Le matinaute - 112 commentaires

Fallait-il, ne fallait-il pas, supprimer le compte Twitter de Trump, et tous ses autres moyens d'expression numériques, après l'émeute du Capitole ? Une fois raconté le week-end où l'équilibre des pouvoirs entre politiques et GAFA a basculé (c'est ici), une fois estimé que ce basculement pourrait n'être qu'une victoire en trompe l'oeil de Twitter et consorts (c'est là), et marquer en réalité la fin de leur premier âge, reste le débat d'opportunité sur la grande purge des trumpo-complotistes, dont cet échange à distance entre Jean-Luc Mélenchon et Audrey Pulvar donne un résumé assez fidèle.


Fallait-il ? Ne fallait-il pas ? Avaient-ils le droit ? C'est au nom de sa méfiance traditionnelle contre l'impunité du capital, que Jean-Luc Mélenchon s'y oppose. C 'est au nom de la défense d'impératifs supérieurs antiracistes et antifascistes, que Audrey Pulvar approuve la purge. Et entre ces deux pôles, dans cette alternative piégeante, la gauche balance.

L'agora de Twitter est-elle un lieu public ? Certes, mais appartenant à une entreprise privée, qui y fait régner l'ordre qu'elle édicte.  Une fois posé, et admis, que les réseaux sociaux sont des espaces publics-privés, des espaces privés remplissant une mission publique, aucune réponse ne s'impose encore comme évidente. A la vérité, il n'y a pas -encore- de réponse juridique, à cette question, la technologie ayant, comme d'habitude, galopé plus vite que le droit. 

Il n'y a que des réponses philosophiques, et politiques. Et la mienne vaut ce qu'elle vaut : l'erreur de Twitter, si erreur il y eut, fut d'avoir décrété que le président des Etats-Unis, comme tous les chefs d'Etat, avait droit à un traitement privilégié, et que les fameuses "conditions générales d'utilisation" du réseau ne s'appliquaient pas à lui. Au nom de ce privilège, des années durant, Twitter le laissa mentir en ligne (lire la longue analyse de l'historien américain Timothy Snyder, qui recense petits, moyens et gros mensonges), et multiplier les appels à la haine.

On peut épiloguer sans fin sur la sincérité des motivations de ce laxisme : respect pour l'intérêt politique des tweets d'un chef d'Etat, crainte des représailles multiformes en cas de censure, ou intérêts économiques bien compris de l'entreprise ? Reste que cette décision (ou cette non-décision) ne fut pas une décision d'hébergeur, mais une décision d'éditeur. Une décision politique. En outre, où arrête-t-on cette immunité présidentielle ? Aux chefs d'Etat ? Aux parlementaires ? Aux élus locaux ? Aux yeux de l'organisateur d'un cadre de débat public, pourquoi considérer qu'un président fasciste, ou putschiste, ou raciste, ou semeur de haine, n'est pas un semeur de haine avant d'être un président ? Puisque les fameuses CGU sont la seule loi de Twitter, pourquoi ne l'avoir pas faite égale pour tous ?

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