Réseaux sociaux : fin de récré au Capitole

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 31 commentaires

La grande récré se sera donc terminée le 6 janvier 2021, dans les couloirs du Capitole. La récré chaotique et magnifique, enthousiasmante et atterrante, la récré universelle par bulles petites ou grandes, la récré des pauvres et des complotistes, des Noirs et des wotanistes, des féministes et des réacs, des lesbiennes et des vegan, des gros et des néo-nazis, la récré libératrice et terrifiante, ce bouillon de culture d'où sortirent, entre autres, les printemps arabes, #MeToo et les Gilets jaunes, et d'où finit par jaillir, au tournant de l'année 2016, une fleur empoisonnée au teint orange et aux cheveux jaunes. Et N'importe Quoi, en majesté, entre deux week-ends au golf, s'installa, doigt sur l'écran tactile, à la Maison Blanche.

Ce n'est pas seulement le compte de Donald Trump, que Twitter a fini par suspendre totalement, ayant courageusement attendu cinq morts, et le gong de minuit moins cinq.  C'est toute la trumpie au sens large qui est aujourd'hui privée de rage et de complainte, bâillonnée, et quel assourdissant silence, que celui qui accueille une incroyable information -Nancy Pelosi s'est entretenue avec le chef d'état-major, pour empêcher le forcené de déclencher une guerre nucléaire dans les douze jours qui lui restent- sans que surgissent immédiatement des nuées les foudres majuscules présidentielles. Pas une plainte, pas un geignement, pas un FAKE MEDIA. Cette voix vengeresse s'est éteinte.

Je lis ce matin que cette grande purge marque l'avènement d'une domination de la Silicon Valley sur le pouvoir politique. C'est peut-être exact à très court terme. Mais je pense plutôt le contraire. Facebook, YouTube, Twitter et les autres, ont assis leur emprise planétaire sur une promesse : une totale liberté d'expression pour tous. Récré permanente pour tous. Pour le meilleur et le pire. Certes, cette promesse n'a pas toujours été tenue, loin s'en faut, censure d'un sein par ci, d'une agression en meute par là, mais l'enseigne restait inchangée sur la boutique. C'est cette promesse qui s'est crashée, le 6 janvier 2021, au Capitole. Fin de la première saison. 

Et maintenant, sur les ruines de la cour de récré, quel nouvel ordre médiatique ? Ce qui est certain, c'est que la dynamique va entraîner les GAFA dans une logique de la purge permanente. Quand on commence à purger ... Sombrent donc dans le même bateau leur mythe fondateur, et leur modèle économique, étroitement liés. Et maintenant, oui ? Tout est possible. Ils peuvent disparaître, et on peut revenir à l'ordre oligopolistique ancien des FAKE MEDIA, comme disait le Majusculissime Ubu. Ils peuvent se réinventer "à la chinoise", sous contrôle étroit. Le grand flot des voix dissidentes et discordantes peut, dans les catacombes, s'inventer d'autres micro-canaux (qui existent d'ailleurs déjà, voir notre enquête sur les petites télés ultra-trumpiennes). Ces canaux peuvent grossir à leur tour. Ou pas. Une nouvelle Histoire commence.


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