The Lancet, et les turbulences de la confiance

Daniel Schneidermann - - Complotismes - Le matinaute - 214 commentaires

Au moins, le gouvernement a pris des abonnements à la presse scientifique. Sitôt parue l'enquête du Lancet estimant les traitements Raoult inefficaces, et potentiellement dangereux (voir notre enquête, le 30 mai), le ministre de la Santé Olivier Véran interrompait les essais sur l'hydroxycholoroquine. Patatras : visé par des contre-enquêtes croisées, le Lancet, quelques jours plus tard, met en garde contre sa propre étude (sans pour autant la dépublier). Aussitôt, Olivier Véran demande à la revue des "explications" -et l'OMS, pour sa part, décide de reprendre des essais interrompus quelques jours  plus tôt. Si on avait été aussi rapide avant le confinement !

De deux choses l'une, soit l'étude du Lancet sur les traitements Raoult était frauduleuse, soit elle était incroyablement légère (ce qui, disons-le, ne réhabilite pas pour autant les traitements Raoult). Dans les deux hypothèses, aux yeux du public, c'est un "tiers de confiance" traditionnel qui se trouve détruit, dans ce champ-là (la médecine), à ce moment-là (une pandémie mondiale).  Je dis "aux yeux du public". Précisons : aux yeux de la presse généraliste, et de la fraction du public qui lui fait encore confiance. Pour ce public, "The Lancet" était une marque. Une source de confiance incontestée, dans un marché (de la confiance) durablement turbulé depuis l'apparition d'Internet, et des réseaux sociaux. 

Pour schématiser, depuis une vingtaine d'années, ce marché de la confiance tend à se cristalliser en deux camps : les adeptes des sources institutionnelles, et ceux des contre-sources. Et les médias traditionnels ? Ils naviguent entre les deux. Institutionnellement et sociologiquement proches des sources officielles (pouvoirs, patrons, institutions), ils prêtent néanmoins aux contre-sources une oreille d'autant plus attentive que ces contre-sources sont écoutées par le public. Lard ou cochon, peu importe, du moment que l'audience est au rendez-vous. Et voilà pourquoi les chaînes d'info se battent pour décrocher des interviews exclusives avec Didier Raoult. Illustration de cette tension : le "Taisez-vous", hier soir, sur BFM, de Raoult à la scrupuleuse journaliste médicale de BFM Margaux de Frouville, tentant de poser une question précise.

Viennent aggraver les turbulences le tropisme littéraire traditionnel des journalistes français (moi compris), et le sous-développement subséquent dans les médias français du journalisme scientifique, que nous pointions par exemple en 2015, dans cette émission, à propos... du créationnisme. On n'est pas sortis d'affaire.

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