Technolâtrie et cooptation : le cas BFM

Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Numérique & datas - Le matinaute - 73 commentaires

Et une bronca, une ! Notre enquête d'hier, sur l'impressionnante ascension du journaliste tech de BFM Raphaël Grably, par ailleurs compagnon à la ville de la fille du patron d'Altice Alain Weill, me vaut ce matin un micro-lynchage sur Twitter, par le club de ses amis et collègues, plus grablystes en l’occurrence que Grably lui-même, qui a réagi avec une certaine modération.

Pourquoi l'avons-nous publiée ? Nous ne sommes pas coutumiers, ici, du recensement systématique de tous les liens familiaux et maritaux des rédactions. Focaliser une analyse systémique sur une seule tête est, je l'admets, déplaisant. Pour tout le monde. Mais le "cas Grably" illustre deux phénomènes. D'abord, oui, l'omniprésence du recrutement par cooptation dans les rédactions. Même si ceux qui ont fait "monter" le jeune journaliste dans la hiérarchie, et que nous avons interrogés, nous affirment, croix de bois croix de fer, que c'est pour ses seules qualités professionnelles, qui est dupe ? Si l'esprit de courtisanerie épargnait les rédactions, comme tous les corps sociaux, ça se saurait. A l'heure où dans le sillage de l'affaire Floyd, un appel est lancé aux rédactions, par l'association de femmes journalistes Prenons la Une, pour que tous les postes disponibles soient systématiquement affichés, le cas Grably prend valeur de symbole. Il est vrai qu'en matière de cooptation, les médias Altice ne sont pas pires que les autres, et que même nous, ici, à Arrêt sur images, n'affichons pas les postes disponibles. Mais la question mérite débat.

Confrère habituellement pondéré, nouvellement promu à la tête de BFM Business, Thierry Arnaud me juge (excusez du peu) "abject", pour la raison que Grably est "un excellent journaliste". C'est possible. Je ne suis pas régulièrement sa production, et notre enquête ne se prononce pas sur ce point. Disons alors qu'il fait excellemment la promotion des intérêts de son entreprise, sur Twitter où il est le bras armé de son patron (et quasi beau-père, désolé), et dans tout son groupe, où il avocate par exemple pour le développement de la 5G, contribuant à sa place au verrouillage de tout débat sur ce sujet , pourtant remis au centre de l'actualité par les récentes municipales. J'entends bien qu'il n'est pas le seul dans le groupe (voir ce précédent Matinaute). Et qu'il n'est pas seulement gaga de la  future connexion des brosses à dents. Là aussi, il est représentatif d'une certaine fascination des journalistes pour leur matière, pour les multinationales (de préférence américaines) qui l'incarnent, et... pour leurs grands patrons. Il faut l'entendre (ici) raconter comment il a héroïquement décroché "moins de dix minutes" d'entretien exclusif avec le big boss d'Apple Tim Cook, de passage à Paris, pour y recueillir -excellemment !- la promo de son dernier gadget (en l’occurrence, le stylet des IPad. L'interview est ici).


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