Sur France 2, paniques morales contre Mélenchon

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 243 commentaires

Enfin vient le moment éducation. Il était temps. On a peu parlé d'éducation, dans la campagne. C'est l'animateur (et ex-prof d'histoire) Thomas Snegaroff qui est chargé de cuisiner Jean-Luc Mélenchon sur le sujet, dans l'émission phare de France 2, "Élysée 2022". "En commençant par une question de forme", introduit Léa Salamé. Snegaroff a remarqué que sur le site de campagne de Mélenchon, les propositions pour l'école étaient rédigées en écriture inclusive. "Est-ce que ça veut dire que pour vous, on doit enseigner en écriture inclusive ?" (Réponse : bof. Plutôt inclusivo-sceptique personnellement, lui président, il consultera les comités adéquats).

Deuxième question : "La difficulté de certains enseignants à faire classe, aujourd'hui, en France, dans certains collèges, et notamment sur les classes d'Histoire" (Salamé). "Certains" enseignants, "certains" collèges : vive l'adjectif "certains", pour ne viser personne. Snegaroff précise l'objet de cette "difficulté" : "Certains éléments en cours, notamment d'Histoire". Apparition d'un sondage de 2021, commandé par Charlie Hebdo : "49% des enseignants s'autocensurent sur les questions religieuses". Brrr ! Mélenchon, qui connaissait visiblement le sondage : "C'est sur leur carrière. On est d'accord ? C'est pas l'année dernière ! C'est sur deux ou trois décennies." Oui, la question posée était bien au passé composé. 

À peine le temps de répondre, voici un second sondage (commandé par la LICRA, cette fois). Moins hypocritement, l'ennemi est ici clairement désigné : "78% des lycéens musulmans sont opposés au droit de critiquer une religion, un symbole, un dogme religieux." Mélenchon, pas dupe : "Je comprends que l'intention est de dire du mal des musulmans". Snegaroff, bafouillant : "Non, pas du tout".

Peu importe ici les réponses du candidat – en substance, les ados étant par définition plutôt jeunes depuis à peu près le commencement des temps, le boulot des profs consiste justement à les dégrossir – le choix de ces deux questions est significatif. On aurait pu faire réagir Mélenchon sur la proposition de Macron du "travailler plus pour gagner plus" pour les profs. On aurait pu l'interroger sur les faiblesses des jeunes Français en langues étrangères, en culture générale, en codage informatique, ou... en éducation aux médias et aux réseaux sociaux (pour apprendre notamment à déjouer la présentation fallacieuse d'un sondage). Non. Paniques morales zemmouriennes seules au menu, agrémentées de ce qu'il faut d'implicite pour faire la différence avec Pascal Praud. On étonnerait Thomas Snegaroff, animateur de service public courtois, cultivé, tolérant, en lui disant qu'il participe de la zemmourisation des esprits. Et pourtant ce soir-là, l'obsession islamo-"woke" est sortie de ses repaires de Twitter et CNews, pour s'emparer du service public, qui tente pourtant d'y résister.


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