Sport sans frontières, une utopie ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 58 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Ainsi va la vie, que le radionaute matinal s'habitue, à la longue, à beaucoup de choses.
Les sons glissent. Catalogue des désarrois et des plaintes qui toujours s'équivalent (sages femmes, taxis, Centrafricains), propagandes masquées, corps à corps laborieux des interviews, l'oreille s'émousse, les indignations s'apaisent. Mais un grumeau subsiste, irréductible, et persiste à ne pas passer : le chauvinisme des journalistes sportifs, dont nous vous avons montré quelques échantillons ici depuis le début des Jeux Olympiques de Sotchi.
Ce n'est pas tellement qu'ils soient chauvins. C'est leur droit. C'est que eux-mêmes, leurs rédacteurs en chef, tout le système, me présupposent à leur image. On tient pour acquis que je vais compatir aux malheurs de Jason Trucmuche, skieur de quelque chose, dont le martyre sur neige molle occupait les antennes ce matin, parce qu'il est français. Que je vais me réjouir de la médaille d'or de Martin Bidule, parce qu'il est français. Je veux bien admettre que le raisonnement vaille pour des sports ultra-médiatisés, foot, tennis, vélo, dont les vedettes jouissent d'une vraie notoriété nationale. Mais le biathlon ? Qui, en dehors de leurs copains du Bar des Pistes de Font-Romeu ou de La Plagne (spots de reportage obligatoires après l'exploit ou l'humiliation), se soucie, entre deux olympiades, de Jason Trucmuche et Martin Bidule ?
C'était un des thèmes de notre conférence de rédaction, lundi. "Mais enfin, les radios, les télés, la presse de tous les pays font la même chose, et ont toujours fait la même chose !" m'objectaient les sportenchambromanes tricolorophiles de notre équipe (il y en a). Et pour enfoncer cette loi naturelle historico-géographique dans ma tête de neuneu : "et ils le font, parce que ça fait de l'audience". Oui. Certes. Imparable, bafouillais-je. Mais un seul media de masse, depuis la création des retransmissions sportives, a-t-il une fois, une seule fois, tenté une hiérarchie de l'information "purement sportive", en mettant l'accent sur les exploits les plus époustouflants, les records pulvérisés, les gestes les plus spectaculaires, dans une radicale indifférence aux drapeaux et aux hymnes ? Est-on vraiment certain que l'audience, alors, s'effondrerait ? Même moi qui, je vous supplie de me croire, n'ai rien contre le sport en tant que tel (j'ai de très bons amis qui pratiquent le vélo) j'arriverais alors me passionner pour des résumés qui aujourd'hui me font hystériquement zapper. Je suis le seul ?