Sous les casques des black blocs
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 70 commentaires
Il y a l'apparence : un gros millier d'encagoulés, lunettés, casqués, sac à dos bien garni, que les télés d'info continue, et les radios du matin, désignent sous l'appellation commode et opaque de "black bloc" ("sans doute des bandes d'extrême droite"
ajoute comiquement Mélenchon). Un bloc de détermination, que j'ai vu hier piétiner sur le pont d'Austerlitz en attendant de s'ébranler, pas exactement en tête de cortège, plutôt en deuxième position, derrière un groupe à peu près équivalent de militants libertaires. Quelques minutes plus tard, c'était la sauvage agression du MacDo, que vous avez vu tourner en boucle, si vous regardiez BFM (et les autres).
Mais qui sont les "black blocs" ? se demandent télés-radios avec angoisse. Se connaissent-ils ? Disposent-ils d'une organisation clandestine ? Sont-ils infiltrés par la police ? Quels sont leurs liens avec l'extrême gauche traditionnelle ? Et au total, ça profite à qui ? A Macron ? Aux manifestants ? Et d'ailleurs, que fait la police ? Les commentateurs des télés, les invités des radios, n'en savent pas grand chose.
Pour tenter de comprendre ce qui se joue sous les cerveaux casqués des black blocs, on peut par exemple...lire ce qu'ils écrivent. Sur les murs du MacDo incendié, on peut lire "bouffe à chier, vie de merde" ou, d'une autre couleur, au bas du mur,"antispé" (pour antispécistes).
Sur les murs, ont aussi été collés deux feuillets dactylo que je retrouve sur Twitter, photographiés par le photojournaliste Charles Baudry. Deux feuillets, donc, manifestement rédigés avant la manif. L'itinéraire avait été repéré, les cibles désignées.
Deux feuillets. L'un est titré "Aux familles des vitrines"
, l'autre "On ne dégrade pas, on redécore".
"Cette manifestation est susceptible de voir se produire des jets de peinture sur (...) des fast foods. S'il s'agissait d'un.e SDF plutôt que d'une fissure sur une vitre, vous ne l'auriez certainement pas remarqué. Pourtant, 2000 personnes décèdent dans la rue chaque année. Quoi de plus drôle qu'un.e assureur.e (escroc) appelant son assurance pour demander le montant de la franchise"
.
Aux spécialistes, il appartiendra de décrypter cette revendication, et de traquer continuités et ruptures avec les mots d'ordre des manifestants "pacifiques". "Quoi de plus drôle ?"
demandent les signataires des deux feuillets, qui affirment vouloir mener des actions de manière "potache et bon enfant"
, dans la postérité des actions situationnistes de la grande époque, ou du "démontage" du MacDo de Millau par José Bové. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils sont seuls à rire. Personne n'a envie de rire de ce rire-là. Si c'était vraiment l'intention, c'est raté.