"Sonia" : en défense de BFMTV (si, si)
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 13 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Prendre son élan ; retenir sa respiration ; attention, préparez-vous : on va défendre ici BFMTV.
Dieu sait si notre site a souvent été critique envers cette chaîne. Pas BFM en tant que telle, chaîne fabriquée par des professionnels ni meilleurs ni pires que les autres. Mais contre l'influence, hautement nocive, de l'info continue surpuissante, dans les grandes crises nationales. Sur cette nocivité, nous avons créé un dossier. Et on y reviendra aussi souvent que nécessaire.
Mais l'enquête pour "mise en danger de la vie d'autrui", déclenchée hier contre la station par le parquet de Paris, pour avoir diffusé l'interview de "Sonia", la personne qui a permis à la police de localiser, et de tuer Abdelhamid Abaaoud après le 13 novembre dans l'assaut d'un immeuble à Saint Denis, ne peut s'analyser autrement que comme une grossière intimidation contre la presse. On s'étonne d'ailleurs de la modération de la réaction des confrères. Si -au hasard- c'étaient Le Monde ou Mediapart qui avaient été victimes de ce type d'intimidation, il est probable que les protestations auraient été plus vives. Attendons.
Que cette interview de "Sonia" ne plaise pas au délicieux procureur Molins, ce fin conteur chouchou des journalistes français, et pas davantage aux services de sécurité, c'est une certitude. D'abord parce que "Sonia" rappelle qu'il a fallu que se manifeste courageusement une simple citoyenne, pour que ces services de sécurité localisent Abaaoud. Sans elle, peut-être l'instigateur du 13 novembre courrait-il encore. Et aussi -surtout ?- parce que "Sonia" raconte longuement l'ingratitude d'Etat à laquelle elle s'est ensuite heurtée. Ah, l'Etat a toujours d'excellentes raisons d'être ingrat, et, en réponse à "Sonia", il les expose longuement (et anonymement) dans Le Monde. Pourquoi on ne l'a pas traitée comme une vraie "repentie" ? On ne pouvait pas faire mieux, elle tombe, la pauvre, dans une faille de la loi. Et d'ailleurs, heureuse coïncidence, on va faire voter une nouvelle loi. Et d'ailleurs -autre heureuse coïncidence- on vient de lui verser de l'argent deux jours avant la diffusion de son interview. Parfait. En attendant, "Sonia", pour reprendre ses mots, n'a plus de vie.
Ne soyons pas angéliques. Ces affrontements de haut niveau entre Etat et puissants medias privés ont parfois aussi des ressorts qui nous échappent. Que le groupe d'Alain Weill (et bientôt de Patrick Drahi) ait choisi de diffuser cette interview pour montrer au gouvernement ses muscles et son pouvoir de nuisance, dans le bras de fer qui les oppose à propos du passage en clair de la concurrente LCI, est tout à fait possible. Sinon, pourquoi cette interview aujourd'hui, alors que "Sonia" est connue des journalistes depuis novembre dernier, comme nous le racontons ici ? Reste que, même -par hypothèse- diffusée pour de mauvaises raisons, cette interview est d'intérêt public. La presse y est au coeur de son rôle, dans ce qu'il a, osons le mot, de plus noble : assister le pot de terre contre le pot de fer. Si on veut l'empêcher de l'exercer, qu'on institue franchement une censure préalable sur tous les articles relatifs à l'action de l'administration de Bernard Cazeneuve. Au moins, ce sera plus clair.