Snowden, chapeau !
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 99 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Depuis quelques semaines, il vit reclus dans une chambre d'hôtel à Hong Kong.
Il a placé des coussins contre la porte de sa chambre, pour déjouer toute tentative d'écoute. Quand il se connecte sur son PC, il compose son mot de passe avec une couverture sur la tête, au cas où une caméra le filmerait du plafond. Il est totalement parano, mais il a des raisons. Edward Snowden, qui vient de confier au Washington Post et au Guardian sa véritable identité, est l'auteur du dévoilement du système Prism, par lequel le gouvernement américain accède aux serveurs des "géants de l'internet", pour espionner potentiellement tous les utilisateurs de Google, Facebook et autres, ce qui fait au total bien du monde.
Dans quelles conditions précises se déroule cet accès, est-ce que les "géants" ont donné une totale carte blanche aux espions, est-ce que les boss étaient au courant ? Autant de points qui devront encore être précisés. Il est possible que le Washington Post, dans ses habillages, dans ses manchettes, ait un peu forcé la dose, pas forcément mécontent de cogner sur les "géants" qui, pelletée après pelletée, clic après clic, enterrent le journalisme traditionnel. C'est possible. Mais cela ne concerne pas Edward Snowden, 29 ans, qui vient de conquérir sa place dans l'Olympe des "whistleblowers", aux côtés de Julian Assange ou de Bradley Manning.
Sa brève autobiographie livrée au Guardian (lecture impérative) est celle, désespérément ordinaire et extraordinaire, d'un jeune Américain idéaliste, qui a eu le tort de croire aux histoires qu'on lui racontait. Il s'engage dans l'armée pour contribuer à libérer le peuple irakien de la dictature de Saddam Hussein. Peu à peu, il découvre les coulisses du Renseignement américain. Ce qui fait la force de son récit, c'est que sa naïveté, son idéalisme, y apparaissent sans fards. En poste à Genève, il voit par exemple la CIA compromettre un banquier suisse, en l'amenant à conduire en état d'ivresse, pour mieux le tenir ensuite, et récolter des renseignements bancaires. Le procédé est vieux comme le Renseignement : il s'en dit pourtant choqué. Il croit qu'Obama va mettre fin aux sales pratiques. Mais Obama ne fait rien. Alors, il fait le grand saut, et balance sa pleine pelletée de documents au Washington Post. Après avoir sollicité des fonctionnaires américains, le journal décide prudemment de n'en publier qu'un dixième. C'est dans ces circonstances, comprend-on, que Snowden balance les mêmes documents au Guardian, sans doute présumé plus indépendant du gouvernement US.
Il sait les risques qu'il prend. Il sait qu'il risque l'exil à vie à Hong Kong, dans une chambre d'hôtel ni plus ni moins confortable qu'une chambre de l'ambassade d'Equateur à Londres, et finalement à peine plus qu'une cellule de prison militaire américaine. Ou bien l'extradition aux USA. Ou bien des tentatives de récupération par le gouvernement chinois. Il le sait, et il reste debout. Il ne cherche ni la gloire ni l'argent. Il a fait ce qu'il pensait devoir faire, parce qu'il n'est pas vertueux d'espionner les citoyens. Il est possible que l'on découvre demain que cette histoire est trop belle. Il est probable que la CIA va tout faire pour souiller cette légende toute neuve, et peut-être auront-ils des éléments pour le faire. En attendant, devant cette histoire telle qu'elle est racontée aujourd'hui, devant ce héros qui nous tombe dessus au réveil, on ne peut dire qu'un mot : chapeau.