Si Zemmour n'était pas juif

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 142 commentaires

"Antisémite, certainement" ! Poussé dans ses retranchements par Thomas Sotto sur France 2, le grand rabbin de France Haïm Korsia vient de déclarer que Zemmour était "antisémite certainement, raciste évidemment" (ici à partir de 1'46''30'''). Il était temps. Ses obsessionnelles tentatives de réhabilitation de Pétain (voir la chronique de Mathilde Larrère) n'y auront pas suffi. Il aura fallu, rappelle le Monde, ses attaques réitérées contre la famille Sandler, qui a fait enterrer en Israël ses enfants, victimes de Mohammed Merah… Si Zemmour n'était pas juif, cette évidence n'aurait-elle pas sauté aux yeux depuis longtemps ?

En 2016, Éric Zemmour est invité à débattre à la grande synagogue de la rue de la Victoire, à Paris, face au prédécesseur de Haïm Korsia, le rabbin Gilles Bernheim. Le débat est arbitré par son collègue du Figaro Yves Thréard. Tout le monde porte une kippa. De ce débat, la grande synagogue n'a pas conservé l'enregistrement, ou bien l'a fait disparaître. Il n'en subsiste, sous la forme audio, qu'un court extrait, à propos du statut des Juifs édicté par Vichy.

"À l'époque, on estime que les juifs ont pris trop de pouvoir, qu'ils ont trop de puissance, qu'ils dominent excessivement l'économie, les médias, la culture française comme d'ailleurs en Allemagne et en Europe. Et d'ailleurs c'est en partie vrai", affirme Zemmour. Ajoutant, selon Claude Askolovitch, dans Slate : "Il y avait des Français qui trouvaient que les juifs se comportaient avec une arrogance de colonisateur. Et arrive encore l'immigration des juifs d'Europe de l'est et de l'Allemagne. La France est le pays qui a reçu le plus de réfugiés. Et c'est la France qui a subi le plus de conséquences. Les médecins français se plaignaient que les médecins juifs leur volent leur clientèle. Il y avait des concurrences terribles. il y avait des trafics. Il y avait l'affaire Stavisky. Tout ça n'a pas été inventé par les antisémites. Et les juifs français étaient les premiers à se plaindre des problèmes que causaient les juifs ashkénazes."

"Et c'est en partie vrai" : si Zemmour n'avait pas été juif, si l'animateur du débat n'avait pas été un aimable collègue du Figaro, Zemmour s'en serait-il aussi bien tiré, devant ce public-là ? Précisez donc votre pensée, cher M. Zemmour. Estimez-vous, aujourd'hui aussi, en 2021, "en partie vrai" que les Juifs dominent l'économie ? Les médias ? La culture ? La médecine, tiens ? Et le barreau ? Donnez donc des noms. Des chiffres. Dites-nous à combien vous estimez le numerus clausus nécessaire. Mais Zemmour est juif. Et une partie de la communauté juive française, traumatisée par les agressions et attentats antisémites, se tait, trouvant  dans son discours sur l'islam un sombre réconfort.

Dissonance cognitive : nous sommes, en 2021, face à un maurrassien juif. Un antisémite maurrassien dissertant dans les synagogues, et portant kippa. Il doit bien en exister d'autres, mais c'est comme les poissons volants : ils ne constituent pas la majorité, ni des maurrassiens ou de ce qu'il en reste, ni des Juifs. Nous avons du mal à imaginer un Juif maurrassien. C'est "l'effet émetteur". Il faut pourtant bien s'y faire.

Mise à jour, 28 octobre. Les termes "Poussé dans ses retranchements", que j'ai utilisés ici, à propos du grand rabbin Haïm Korsia et de l'antisémitisme de Zemmour, sont contestés sur les réseaux sociaux. Il faut écouter l'extrait dans son contexte (ici à 1'46''). Le grand rabbin refuse d'abord de répondre aux questions sur la judéité de Zemmour, faisant mine de ne pas savoir si Zemmour est juif. Il est interrompu par Thomas Sotto : "est-ce qu'il est raciste, Eric Zemmour ?" Après une demi-seconde d'hésitation, il répond clairement : "antisémite certainement". Disons que, manifestement pris au dépourvu, il a exprimé une pensée parfaitement claire.

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