"Sexe, race et colonies" : Pascal Blanchard ne veut pas débattre
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 73 commentaires
Il y a des matins comme ça, où je me demande de quoi je vais vous parler. Et soudain, notre journaliste, Juliette Gramaglia, me prévient : Pascal Blanchard nous fait faux bond pour l'émission. Pascal Blanchard est un historien réputé de la colonisation, qui s'est notamment fait connaître par la dénonciation des "zoos humains", quand on exhibait des Noirs devant des Européens amateurs d'exotisme. Une bonne partie de la presse de gauche s'est fait l'écho, le week-end dernier, du dernier livre collectif qu'il a coordonné, "Sexe, race et colonies" : un gros, très gros livre illustré, paru aux Editions de La Découverte, sur les violences sexuelles coloniales multiformes exercées par les Français sur les colonisé.e.s. Pour ce livre, Pascal Blanchard a été interrogé (seul) par Libération, par Mediapart, par Le Media, et j'en oublie certainement.
Le livre est implacable, étouffant, écoeurant. Des photos, des dizaines et des dizaines de photos, plus immondes les unes que les autres, qui documentent, tout au long d'un siècle et demi de colonisation, le mépris, la condescendance, les violences occidentales, envers les corps non-occidentaux, noirs ou jaunes. Ces photos sont accompagnées de textes de toute une palette de spécialistes incontestés du sujet.
On imagine que des historiens scrupuleux se sont posé la question. Publier ces photos insoutenables ? Ne pas les publier ? Comment les publier ? Blanchard évoque d'ailleurs ces dilemmes dans son interview à Libé
. Nous nous disons qu'il y a là matière à un formidable débat. Nous invitons donc Blanchard, qui accepte. Mais pas question de le recevoir seul. Ces photos de femmes, de fillettes noires, ce livre, posent des questions. Nous estimons juste de donner aussi la parole à des contradicteurs, de préférence, à des femmes noires. Nous invitons la chercheuse franco-ivoirienne et afro-féministe Maboula Soumahoro.
Là-dessus, hier mercredi, déboule, sur le site Cases rebelles, un texte collectif qui est un cri de rage (et dont Maboula Soumahoro est une des co-signataires). Contre le livre. Contre Libé
aussi,
qui a mis cette photo à la Une. Et qui posent des questions. A qui appartiennent ces photos ? N'aurait-on pas dû demander l'accord des ayant-droits avant toute publication, si difficile que soit évidemment la recherche de ces ayant-droits ? Pourquoi se permet-on avec les corps noirs, ce qu'on ne se permettrait sans doute jamais avec des corps blancs ? Bref, un débat indispensable.
Et tôt ce matin, donc, le texte de Cases rebelles lu, Blanchard se décommande, estimant
"qu'il n'y a pas d'espace pour le débat"
. Nous pensons au contraire que oui. Que ce débat est indispensable. Et nous maintenons évidemment notre émission. Et notre invitation à Pascal Blanchard.