Sarkozy sur France 2 : la dictature du format

Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Humour - Le matinaute - 35 commentaires

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Un rêve fou planait sur le plateau de "L'émission politique". Le rêve de voir débarquer Elise Lucet

, avec son imper et ses chemises pleines de factures Bygmalion, pour les fourrer sous le nez de Nicolas Sarkozy. Après tout, elle devait bien connaître l'adresse du tournage. Elle doit bien avoir des sources dans la maison France 2. Entre deux irruptions dans des déjeuners privés ou des assemblées générales d'actionnaires, elle avait peut-être un petit créneau. A défaut, on aurait pu, comme le suggérait sur notre plateau de la semaine dernière notre consoeur de Les Jours, Isabelle Roberts, inviter Franck Attal, organisateur de ses fameux meetings de 2012, qui s'était déclaré prêt à être confronté à lui. Ou encore (solution minimale) projeter à Sarkozy un extrait de cette fameuse interview de Attal qui a mis le feu entre le directeur de l'information de France Télévisions, Michel Field, et Elise Lucet.

Mais non. Ni l'un, ni l'autre, ni le troisième, ce sont Pujadas et Salamé qui se sont collés à l'interview Bygmalion, à laquelle Sarkozy a répondu par sa batterie habituelle d'éléments de langage mensongers. Pujadas a eu beau répéter cinq fois sa question sur la responsabilité "personnelle" de Sarkozy, aucune réponse. Et puis, il fut temps de passer à autre chose. Ou plutôt, de revenir au sujet quasi-unique de l'émission : l'islamo-terrorisme, sous ses multiples déclinaisons (fichés S, mosquées, Ramadan, lapidations, migrants, etc). En lieu et place de Lucet, c'est l'humoriste de France Inter Charline Vanhoenacker qui a débarqué à la fin de l'émission avec une jolie casserole (clin d'oeil), et a balancé sur l'invité une grêle de coups de patte sans conséquence. Tout ça pour ça.

De cette impossibilité structurelle d'acculer à la vérité un invité politique, on peut accuser de multiples facteurs : la couardise personnelle des journalistes, le mode de nomination des dirigeants de la télé publique, etc. Il y a une autre raison : le formatage extrême de ces grandes émissions spectaculaires qui exige, sitôt que s'amorce l'esquisse de la promesse de l'espoir de quelque chose, de "passer au sujet suivant". La dictature du format, qui condamne journalistes et humoristes aux "coups de patte", et interdit toute vraie insistance. Encore ces coups de patte sont-ils parfois jugés comme le summum de l'audace. Ainsi le site de franceinfo, qui a isolé la vidéo du sketch de Vanhoenacker, omet-elle dans son résumé de mentionner le "coup de patte", pourtant si léger, de l'humoriste au directeur de l'info Michel Field. Décidément, la marge est étroite.

On peut zoomer pour mieux voir la casserole

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