Sabotage entre guillemets en Bretagne

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 90 commentaires

Enfin une information judiciaire a été ouverte, le 22 avril, après le sabotage fin mars de la voiture de la journaliste de Radio Kreiz Breizh Morgan Large, qui enquête en Bretagne sur l'industrie agro-alimentaire. Il aura fallu une large mobilisation, notamment de Reporters sans frontières, un grand rassemblement de soutien à Rostrenen (Côtes-d'Armor), une chronique du rubriquard écologie du Monde Stéphane Foucart, qui n'hésite pas à parler de "tentative de meurtre" ou "d'attentat". Bref, un petit mois. On a connu la justice plus diligente. Les temps sont rudes, décidément, pour les journalistes qui souhaitent traiter d'agriculture, et particulièrement de la pollution causée par l'agriculture, et des conditions de vie des saisonniers dans les exploitations agricoles en Provence (voir notre enquête sur l'agression contre l'équipe d'Envoyé Spécial).

La plupart des médias en ligne de ce matin reprennent donc cette information, mais, comme Franceinfo, en assortissant de guillemets le mot sabotage.

Les guillemets sont aussi de sortie sur le site du Monde...

... ce qui laisse penser que les guillemets figurent sur la dépêche de l'AFP recopiée telle quelle, comme d'habitude, par tous ces sites. Et c'est le cas. Si l'AFP place le mot entre guillemets, c'est parce qu'elle cite le communiqué de Reporters sans frontières. L'AFP elle-même, et tous les médias qui reprennent sa dépêche, n'est pas capable de discerner seule si le desserrage de deux boulons sur une roue de voiture est, ou non, un sabotage. 

Mais ce n'est pas une fatalité ! Il est toujours possible à une rédaction de procéder au geste hardi de l'ablation des guillemets, comme France Bleu.

Est-ce à dire que plus un média est proche des faits, plus il accorde du crédit à la réalité du sabotage de la voiture de Morgan Large, et s'affranchit de la prudence afpesque ? Ah non, voici un contre-exemple :

Non seulement pour le quotidien régional Ouest-France le sabotage est mis en doute, mais il est carrément évacué du titre, au bénéfice de ces charmants "actes de malveillance" (on le retrouve néanmoins dans l'article, avec sa parure de guillemets). Une prudence de nature à confirmer le titre de notre émission de mai 2020 avec... Morgan Large, justement (voir ci-dessous) !

Et nous, à propos ? Au moment de choisir le titre de notre enquête du 4 avril, on a hésité.  La plupart des récits parlaient alors de "tentative d'intimidation". Cela nous semblait un peu faible. "Tentative de meurtre" ? Un peu fort, au contraire, même si rouler en voiture plusieurs jours, à 110 km/heure, avec une roue aux boulons desserrés peut très mal se terminer. Il est essentiel de bien qualifier ce dont on parle. Nous avons finalement choisi sabotage. Sans guillemets. Sauf à accuser implicitement Morgan Large de mensonge ou de mythomanie, le terme est incontestable. C'est factuel. Je ne comprends toujours pas pourquoi le mot est placé entre guillemets par certains de nos "confrères".


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