Ruffin, Bill Gates, et les brevets des vaccins

Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Le matinaute - 133 commentaires

"Nous sommes ici dans l'hémicycle, et pas sur une de vos vidéos YouTube", lance Olivier Véran  à François Ruffin, député Insoumis de la Somme. Ruffin vient de l'interpeller sur la levée des brevets de vaccins, à propos de laquelle la France s'oppose à l'Organisation mondiale du commerce, en contradiction avec la promesse d'Emmanuel Macron en juin 2020, qui disait "le vaccin sera un bien public mondial". Voici l'interpellation de Ruffin, et la réponse de Véran.

De fait, c'est bien sur sa chaîne YouTube que Ruffin a détaillé l'affaire le  13 mars, et découvert, dans la privatisation du brevet du vaccin AstraZeneca contre la volonté initiale d'Oxford, le rôle de... Bill Gates. Ruffin sait très bien qu'au seul prononcé de ce nom, il pourrait se trouver rejeté dans l'enfer complotiste. Alors, il cite et sur-cite ses sources. Il l'a lu dans Alternatives Economiques, sous la plume de Christian Chavagneux : Oxford a été convaincue par Bill Gates de s'allier avec un labo et de protéger sa propriété intellectuelle. Appelant Chavagneux (eh, Ruffin, si t'es pas ministre de Mélenchon l'an prochain, on t'embauche quand tu veux) il est remonté jusqu'au magazine américain KHN, "qui existe depuis 1948", et qui a raconté l'histoire en août 2020 (à l'inverse, pour être complet, KHNa aussi publié un article plutôt sceptique sur les possibilités concrètes de partage de la technologie des vaccins ARN).

Depuis le 13, Ruffin a complété son information, et appris que l'UE, dont la France, s'oppose à l'OMC sur cette demande, notamment formulée par l'Inde et l'Afrique du Sud (et l'Organisation mondiale de la santé). C'est notammentLe Figaro qui l'a écrit le 1er mars, à l'occasion de la prise de fonction de la nouvelle directrice générale de l'OMC, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala.

charité

Reste à comprendre pourquoi la France s'oppose aujourd'hui à cette promesse de Macron de faire des vaccins anti-Covid un "bien public mondial". Elle a certainement des raisons. Je ne demande pas mieux que d'entendre les partisans du maintien des brevets. Le gouvernement va certainement plaider que sans brevet, pas d'incitation à l'innovation. Que c'est juridiquement compliqué. Que cela ne suffira pas à amener le vaccin demain matin dans tous les cabinets médicaux. Que cela complexifiera même peut-être les circuits de distribution. Tout ceci est plaidable, entendable. Le souci, c'est qu'Olivier Véran, dans sa réponse à Ruffin, n'a pas répondu. Réécoutez. Il répond mécanisme Covax (c'est à dire charité). Gentille clause glissée dans les contrats. Et 500 000 doses données par la France d'ici juin aux pays pauvres. 500 000 doses ! Bref, il ne répond pas.

A l'Assemblée, on n'est pas sur YouTube. N'empêche que jusqu'à maintenant, ni devant des influenceurs (voir notre dernière émission), ni devant des twitcheurs (lire notre enquête sur la modération des lives), ni devant de vrais journalistes avec des morceaux de carte de presse à l'intérieur, le gouvernement français n'a été mis en demeure de débattre publiquement de cette question, et de justifier son opposition, devant l'OMC, à la levée du brevet. Et pourtant Ruffin n'est pas le premier à poser la question. Des manifs, des interventions, des tribunes, l'ont soulevée. Sans écho, ou quasiment. De l'avantage de l'Assemblée, combinée à un usage savant des réseaux sociaux.


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