RT France : quelques questions de forme

Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Le matinaute - 19 commentaires

Après quelques mois de réflexion, le Syndicat National des Journalistes vole au secours de la télé russe, RT France. Contre cette télé, le SNJ a décelé du côté de l'Elysée "un parfum de censure d'Etat". Il faut dire que Macron a mis la dose, dès avant son élection. A en croire le SNJ, les journalistes de RT France ont été exclus d'une soirée électorale de En Marche, d'une Assemblée Générale des Nations Unies à New York, d'une conférence de presse de l'Elysée, d'un voyage de Macron en Italie et, encore à une autre occasion, de la cour de l'Elysée. Mais le plus surprenant semble être que l'Elysée n'assume pas cette politique. Pour chacune de ces mesures d'exclusion, un prétexte boiteux a été avancé aux exclus. Une fois, c'est la faute à "pas de place", une autre fois, la faute à "une erreur". Encore une autre fois, un policier de l'Elysée, devant la caméra de RT, a mangé le morceau : "le président a été clair. Pas de RT France à l'Elysée". Sans parler de la fameuse "loi fake news", en passe d'être adoptée par le Parlement, taillée sur mesure contre les medias russes en France.

C'est au cours de la campagne de 2017, que Emmanuel Macron a commencé à poursuivre de sa vindicte les medias russes, qui ont colporté à deux ou trois reprises, sur sa vie privée et sur le financement de sa campagne, des rumeurs non étayées (liste ici), notamment en reprenant des ragots de Julian Assange. Depuis lors, la foudre jupiterienne n'a jamais lâché RT France. Que simultanément, le CSA ait aussi adressé à la même chaîne une mise en demeure, reprochant notamment à la chaîne son unilatéralisme sur la guerre de Syrie, accroît l'impression que tout le marteau pilon de l'appareil d'Etat, dans une sorte de soft-totalitarisme, pour le coup, poutinien, est mobilisé pour écraser la mouche RT.

Oui, un media de propagande


Le cas RT France pose une question intellectuelle complexe. Appelons un chat un chat : oui, RT France est un media de propagande, financé par un gouvernement étranger. Mais la France n'est pas en guerre avec cet Etat, qui ne nous menace pas. La France a, avec la Russie, de nombreux intérêts communs. Oui, la diplomatie russe fait tout ce qu'elle peut pour affaiblir l'UE, tâche dont sont notamment chargés ses medias à l'étranger. Mais il me semble que ces derniers mois, la Russie n'est plus seule à cogner sur l'UE, et que les coups les plus sonores viennent aujourd'hui de l'autre côté (il est vrai qu'à la différence des medias russes, qui collent à leur gouvernement, les principaux medias américains sont en opposition déclarée à Trump. Rien n'est simple).

A cette accusation de propagande, les fins dialecticiens défenseurs de la chaîne russe rétorquent que les medias audiovisuels publics français (et pas seulement les medias publics, ni audiovisuels, d'ailleurs) répercutent, eux aussi, les vues du gouvernement français. Vieux constat : notre propagande à nous est, à nos propres yeux, invisible, c'est parce que nous y baignons. Mais disons que les antiques démocraties libérales occidentales effectuent leur travail de "soft power" de manière plus fine, et moins grossière, que les Russes, ces démocrates récents. Une vision partagée du monde et de la société n'interdit pas à TV5 Monde, à RFI, à France 24, des critiques ponctuelles contre tel ou tel aspect de la politique économique du gouvernement français. Personnellement, je n'ai jamais repéré de critique du gouvernement russe dans les articles ou les JT de RT France ou de Sputnik. Mais je ne demande pas mieux que d'être détrompé.

A toutes ces données, j'ajoute un argument d'opportunité. L'influence des JT de RT France est aujourd'hui quasi-nulle. Si les medias russes exercent aujourd'hui une influence, c'est davantage par la diffusion de leurs articles et vidéos sur les réseaux sociaux, et leur excellent référencement. Un exemple récent : cherchant, pour la chronique matinaute d'hier, à me documenter sur le rapport qualité / prix du chasseur américain F 35, je suis tombé quasi-exclusivement sur des articles de Sputnik. Mais est-ce la faute des Russes, s'ils sont seuls à travailler certains sujets, ou sont mieux référencés ? Contre ce référencement, tous les policiers de l'Elysée rassemblés sont impuissants.

Autant, en mettant en demeure RT France, le CSA est dans son rôle officiel, autant Macron semble être tombé dans le piège tendu, en ostratisant obliquement RT France. Les formes démocratiques ne sont peut-être que des formes, mais ce n'est pas une raison pour y renoncer. 



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