Roussel : comme un arrière-goût

Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Le matinaute - 287 commentaires

Secrétaire national du Parti communiste français, Fabien Roussel est un récidiviste des petites phrases réac' attrape-clic. Le coco réac', quel excellent client ! Le week-end dernier, dans son discours à la Fête de l'Humanité, il a évoqué la classe ouvrière, ce que des twittos pro-LFI, ont aussitôt résumé en postant l'extrait suivant.


"Elle parle français" : entendant cet extrait, qui semble opposer la "belle" classe ouvrière francophone à une autre partie de cette classe qui ne parlerait pas français, j'ai dégainé plus vite que mon ombre le tweet (ou le X) ci-dessous (supprimé depuis).

Jacques Doriot et Marcel Déat sont deux personnalités politiques de l'entre-deux guerres, venues de la gauche, et qui ont terminé leur carrière dans la collaboration et l'antisémitisme. Dans ce message, je signifie clairement que Fabien Roussel, à mes yeux, est en train de suivre le même parcours.

N'est pas Lucky Luke qui veut, j'ai réagi trop vite. Les choses sont (un peu) plus compliquées, comme le résume cette enquête de Checknews pour Libération. Ce passage du discours de Roussel suit de peu un autre passage, dans lequel l'orateur accuse le gouvernement (en substance) de ne pas parler le langage du peuple. La "belle classe ouvrière" n'est donc pas opposée aux méchants étrangers, mais aux élites cosmopolites, somewhere contre anywhereContrairement cependant à ce qu'écrit Checknews, je ne me suis à aucun moment excusé, et je ne le ferai pas. Je souhaite en revanche comprendre pourquoi j'ai tweeté trop vite.

Fabien Roussel est un habitué, disais-je, des saillies réac', semblant l'amener sur le terrain de la droite et de l'extrême droite, et qu'il faut d'urgence "remettre dans leur contexte" dans les heures ou les jours suivants, pour bien expliquer qu'il ne fallait surtout pas comprendre ce que certains ont compris. Exercice d'autant plus pervers qu'il rencontre la complicité active de "l'autre gauche", mélencho-écologiste, qui s'empresse de faire buzzer les passages litigieux, soigneusement découpés. En avril dernier, par exemple, il évoque les "frontières-passoires". "Nos frontières ne sont pas des passoires, mais surtout les humains qui tentent de les traverser risquent leur vie chaque jour", réplique aussitôt Sandrine RousseauA-t-il donc repris le thème zemmouro-lepéniste du "grand remplacement" ? Pas du tout. On l'a mal compris. Il parlait essentiellement des marchandises, accusant les frontières de laisser passer les marchandises, et pas les humains. Aucune xénophobie, rien d'autre que le traditionnel protectionnisme. Citation "dans le contexte" : "Ils ont mis la France sur Le bon coin, ils ont signé des traités de libre-échange, ils ont transformé nos frontières en passoires, ils ont laissé filer nos usines et ils reviennent la bouche en cœur en nous parlant de souveraineté". Et quelques jours plus tard, dans l'explication de texte : "Quand aujourd'hui, nos frontières ne permettent plus de protéger nos usines, nos emplois, quand nos frontières ne permettent plus d'empêcher l'évasion fiscale, la fraude fiscale et nos richesses de partir dans des paradis fiscaux : eh bien la France devient une passoire". Circulez !

D'ailleurs, Fabien Roussel n'est nullement hostile aux étrangers en général, et aux musulmans en particulier. Si en 2019, il refuse de participer à une marche de plusieurs organisations de gauche contre l'islamophobie (il est vrai qu'il n'est pas le seul dans la gauche institutionnelle), c'est parce qu'il trouve le mot "trop réducteur". "Il y a plus globalement, estime-t-il, "une montée du racisme et de l’antisémitisme. Il n’y a jamais eu autant de tags nazis". C’est "un climat malsain et c’est cela dont je préfère parler", précise-t-il. "Je prends une distance, non pas pour m’exprimer contre, mais pour prendre de la hauteur sur le sujet". Le PCF invite néanmoins à participer à la marche.

De la même manière, si Fabien Roussel ne participera pas à une nouvelle marche, ce 23 septembre, contre les violences policières et le racisme, qu'on n'en déduise pas de sa part une certaine indulgence contre les violences policières. "Je n'y participerai pas d'abord parce que je n'ai pas envie de manifester en entendant autour de moi ce slogan, «tout le monde déteste la police». Ce n'est pas vrai et je ne partage pas ce slogan-là, et donc je ne souhaite pas m'y associer pour cette raison-là", étaye-t-il sur Franceinfo. Cela dit, reconnait-il, "les violences policières existent".

À ces piques incessantes contre la cause des minorités, contre les politiques de solidarité (son hostilité, parfaitement revendiquée, elle, à la "gauche des allocs'"), s'ajoutent des provocations contre la lutte contre le dérèglement climatique. On se souvient de l'homérique empoignade contre Sandrine Rousseau (encore), sur le "bon steak" et le "bon vin".  "Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage, pour moi c’est la gastronomie française" : coucou les patriotes !  Mais, ajoute-t-il aussitôt, "pour avoir accès à ce bon, à cette bonne gastronomie, il faut avoir des moyens. Donc le meilleur moyen de défendre le bon vin, la bonne gastronomie, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès" : retour à la maison coco. Et de rajouter une ration, dans une interview à Libération, de la campagne médiatique de la Fête de L'Huma, cru 2023.  "J’ai encore mangé une bavette aujourd’hui. Ça va brûler en Afrique ? Sans parler des ris de veau que j’ai mangés à Châlons (...). Ça, ça vaut au moins un tremblement de terre à Haïti."

Bref, Fabien Roussel est en mouvement, dans un trompe-l'oeil savamment construit, vers l'édification d'une gauche d'extrême droite, parfaitement philippo-compatible, du reste. Où ce mouvement s'arrêtera-t-il ? À partir de quand un trompe-l'oeil devient-il réalité ? Jusqu'où son auteur peut-il maitriser sa glissade ? J'ai mon intuition. Elle est peut-être excessivement pessimiste, je le souhaite. Mais, puisqu'on parle gastronomie, que l'on ne me reproche pas d'avoir le palais sensible à une sorte d'arrière-goût. 




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