Prises d'otages et bonnes nouvelles

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 45 commentaires

Rentrée sur BFM-TV : oyez oyez, Philippot est face à Polony. Et puis ?  Et puis rien. Vous connaissez Philippot, vous connaissez Polony, moi aussi. Je ne vais tout de même pas vous raconter Philippot face à Polony, vous pouvez l'imaginer tout seuls. Philippy, Polonot : éternelles marques, éternelles enseignes clignotantes, par lesquelles la maison Drahi, s'imaginant qu'elle attirera des clients pour ça, tente de vous capturer. De vous "prendre en otages médiatiquement", comme dit l'ex-directeur de la rédaction du Monde Luc Bronner. Tiens, si vous avez un peu de temps, et si vous l'avez manqué cet été, regardez donc plutôt Luc Bronner, face à Emmanuelle Walter.

Les clashs, les buzz, les flashes de colère : cette prise d'otages est quotidienne.  Bronner : "On entend des généraux nous parler de guerre civile. Des idéologues d'extrême droite nous remplissent les cerveaux d'une image des Français qui seraient uniquement préoccupés de sécurité et d'immigration." Prototype de ces micro-prises d'otages, selon Bronner, la gifle à Macron, au printemps dernier : "Ce type réussit à capturer une part de notre cerveau, et à capturer une part du débat public". Tout à fait d'accord, à ceci près que le giflé, et son gouvernement, savent aussi comment y faire, côté occupation des cerveaux.

Outre une certaine lassitude personnelle facilement compréhensible, c'est sans doute la corvée de devoir gérer ces prises d'otages en rafale qui a décidé l'ex-chef de 500 journalistes à revenir de son plein gré au terrain, c'est à dire au reportage. "J'avais une envie très positive, très heureuse, de rencontrer des gens qui ne soient pas des journalistes", dit Bronner, qui donne en exemple le président du club de pétanque du Mée-Sur Seine (Seine et Marne), lequel a appelé ses boulistes un par un, pour prendre de leurs nouvelles lors du confinement.  Magie du reportage nez au vent, qui dévoile l'invisible. Vous partez enquêter sur n'importe quoi, une bagarre de bistrot par exemple, et vous rencontrez les premières radios libres, ou vous visitez le logement de fonction du capitaine de gendarmerie...

Dans le cas de Luc Bronner, derrière le simple appétit de terrain, j'ai perçu une autre motivation  : l'étouffement de se retrouver au cœur d'une usine d'actualité anxiogène, et la tentation d'en appeler au terrain en tant que pourvoyeur de "bonnes nouvelles". Ainsi de ce reportage de Bronner en Mayenne, dont Le Monde conclut : "La France heureuse, la France qui va bien, et si c'était elle, la majorité silencieuse ?" Peut-être. Mais le reporter n'a, volontairement, rencontré que des petits patrons ! Rien n'est simple. Même si les médias braquent insupportablement leurs loupes sur les colères, il ne faudrait pas en déduire trop vite que ces colères n'existent pas.



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