Primaire - 37 : "Mais qui te dit que je suis un scooter de gauche ?"

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 42 commentaires

La primaire, mon scooter et moi (3)

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Ce matin, il m'attendait. Je le voyais presque danser sur sa béquille. Je n'avais pas encore tourné la clé, qu'il ronronnait déjà. C'est étrange, un scooter qui ne tient pas en place. Etrange, et vaguement inquiétant.

- Alors, ce Hollande. Il a tout de même un bilan de gauche ! Vous le dites vous-mêmes, sur ton site. La prime d'activité. Les baisses d'impôts pour les classes moyennes. La garantie logement pour les jeunes. Toutes ces mesures occultées par l'hystérie médiatique anti-Hollande. Tu l'as lue, seulement, cette enquête, toi le grand adversaire des emballements médiatiques ?

Comme il était prévisible, tout de même, dans son étrangeté. En mettant en ligne notre enquête d'hier, sur le bilan "de gauche" de Hollande, je savais bien que j'apporterais de l'essence à son réservoir. Que j'alimenterais cette offensive de culpabilisation qu'il mène contre moi, depuis que j'ai annoncé qu'il m'emmènerait voter à la primaire de la droite et du centre. Mais j'avais soigneusement préparé mon argumentaire, pour ne pas céder à la provocation.

- Tu plaisantes. Nous avons fait cette enquête par scrupule, pour ne pas nous laisser emporter, nous aussi, par un Hollande bashing trop facile, trop unanime. Pour penser contre nous-mêmes, comme disait Péguy. Et pour montrer, à la fin des fins, la minceur de son bilan "de gauche". En gros, pour faire une croix sur Hollande, en sachant précisément pourquoi nous faisons une croix. Et je dois dire que toute la journée d'hier me conforte. Ce livre épouvantable, par mes deux confrères du Monde, Davet et Lhomme. Toute la hollandie acculée dans son dernier carré. Tu as vu cette incroyable journée, sur les chaînes d'info continue ?

- Non, j'étais au parking. Le jour où tu m'installeras BFM dans mon parking...

- C'est bien simple. Toute la journée, on a vu défiler des gens qui n'y comprenaient rien. Les pro-Hollande n'ont pas compris pourquoi Hollande avait avoué qu'il était contre la déchéance de nationalité. Leurs confrères n'ont pas compris pourquoi il avait parlé 61 fois à deux journalistes, mais sans doute parce qu'ils sont jaloux. Davet et Lhomme passent tout leur livre à répéter qu'ils ne comprennent rien au bonhomme qu'ils interrogent. Et Hollande lui-même, paraît-il, n'a rien compris au titre du livre, "Un président ne devrait pas dire ça". Heureusement pour les auteurs, d'ailleurs.

- Oui, d'après ce que j'ai compris, Hollande, dans ce livre, critique abondamment l'info continue. L'info continue s'est vengée en le passant à tabac toute la journée.

C'était une manière de voir. Il a poursuivi :

- Donc, le pouvoir est nu. Il se montre dans sa nullité et dans sa nudité, en toute transparence. Ce livre est une entreprise de transparence sur la médiocrité et les bafouillements du pouvoir. Ce silence de Hollande face à son bilan, que tu soulignais hier dans son interview à L'Obs, on le voit dans le livre se déployer à longueur de pages. Tu devrais applaudir, toi qui as toujours voulu de la transparence partout.

- Tu te fais le scooter du diable. Tu sais très bien que c'est indéfendable. Tu sais très bien qu'on a tout de même besoin d'admirer un peu le président de la République.

J'ai sursauté. J'avais vraiment dit ça, moi ? J'avais vraiment confessé un "besoin d'admiration" ? Heureusement, il n'a pas semblé entendre. Je me suis dépêché d'enchaîner.

- Et si tu me parles de ce que nous avons publié hier, tu as lu aussi cet article sur le ministre Baylet, accusé de violences envers sa collaboratrice ? Tu penses une seconde qu'on peut croire à "l'Etat exemplaire de Hollande", avec cette histoire ?

- Vous l'écrivez vous-mêmes dans l'article : les choses sont peut-être plus compliquées. Ce n'était pas seulement sa collaboratrice. Ils avaient aussi, depuis des années, "une relation privée", comme vous dites pudiquement. Va savoir ce qui se sera vraiment passé entre eux.

Je m'attendais à tout, sauf à cet argument.

- Toi, un scooter éthique, tu vas donner des circonstances atténuantes à un type qui tabasse une femme, et la relâche nue dans la nuit. Toi, un scooter de gauche ?

Et là, il m'a séché :

- Mais qui te dit que je suis un scooter de gauche ?

(A suivre)


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