Pourquoi Merah n'est pas papy Voise

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 252 commentaires

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Donc, tout se serait retourné ?

Quelle curieuse ambiance, tout au long de cette journée d'hier. En une journée, une apparition télé à Paris, une autre à Montauban, un grand rabbin, un président de mosquée, des obsèques dans une caserne, Sarkozy aurait repris la main ? Curieuse ambiance d'amère sidération, parmi quelques amis et confrères, tous indiscutablement antisarkozystes, qui expliquent, ou écrivent, qu' "il" a tout de même été très fort, bien joué le coup, trouvé les mots qu'il fallait, ré-endossé le costume du "président protecteur", etc. On la retrouve, cette sidération, dans les éditos saluant le discours de Sarkozy à Montauban, comme dans la retransmission complaisante des confidences inquiètes de l'entourage de Hollande qui, à en croire France Inter ce matin, serait maintenant obligé de recentrer sa campagne sur le thème de la sécurité, toujours "glissant" pour le PS.

En d'autres termes, à en croire l'omniscient peuple de la Bulle, ou une partie, ces heures de sidération suffiraient à faire oublier par magie chômage en hausse et pouvoir d'achat en baisse. Evanouis le quinquennat de promesses non tenues et le gouvernement des riches. Dix ans après, l'affaire de Toulouse serait le remake de papy Voise 2012, cette agression d'un viellard d'Orléans. Et au fond de leur voix, une sorte de Schadenfreude, l'amère satisfaction d'avoir toujours eu raison, même en dépit de tous les sondages, tout au long de ces derniers mois, quand ils pensaient "qu'il se passerait quelque chose", et que Sarkozy, au fond, était imbattable.

Cette croyance sans faille dans le pouvoir magique d'une mise en scène télévisée témoigne, avant tout, d'un profond mépris pour le bon sens de l'électeur de base. Elle témoigne aussi d'une incapacité à penser autrement que par analogie, autrement qu'en se référant à des précédents, en l'occurrence cette affaire papy Voise, qui obsède encore les mémoires de gauche. Et cette obsession est compréhensible, tant les chaînes d'information continue, désormais sous l'étendard de BFM TV, auront plongé dans le délire tout au long de ces journées, gommant d'un coup toute actualité nationale et mondiale, au bénéfice du Feuilleton Unique, étiré comme un chewing gum, sans craindre le claquage (la fausse annonce, à la mi-journée d'hier, de la reddition de Merah).

Mais l'affaire Merah n'est pas l'affaire papy Voise. Les différences sont multiples. Puisque cela semble nécessaire, citons-en deux. Le coup de cymbales de l'affaire Voise survient en 2002 à quarante-huit heures du premier tour de l'élection. Et l'on va donc voter avec, au fond de l'oeil, l'image du visage tuméfié du bon papy. Un mois nous sépare aujourd'hui du premier tour. Il y en aura d'autres, des images, dans le mois qui vient !

Ensuite, l'épisode Voise est l'apothéose ("le fait-divers de trop", titre Match) d'un emballement sur l'insécurité qui a commencé un an plus tôt, et a occupé les antennes tout au long de l'automne et de l'hiver 2001-2002. Journalistes, politiques, et une partie du public sont alors plongés depuis un an dans une sorte de transe chamanique, quotidiennement alimentée par la moindre agression dans un bus, la moindre insulte à un prof dans une cour de récré. Rien de tel aujourd'hui, où l'angoisse dominante, celle qui nourrit chaque jour le roman de l'élection, est celle de l'effondrement économique, et du déclassement social. Ce à quoi nous assistons, est la tentative sarkozyenne de greffer la vieille angoisse djihadiste, née du 11 Septembre, sur le terrain d'aujourd'hui. Cette tentative est fort bien menée. Mais rien n'indique qu'elle doive réussir.

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