Pourquoi "il" a gagné
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 105 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Un an après jour pour jour,
"presque heure pour heure", répètent mécaniquement les présentateurs de BFMTV, devant l'image des barrières du commissariat de la Goutte d'or, où un assaillant armé d'un hachoir vient d'être abattu par les policiers en faction. On est jeudi, il est midi. Et on est scotchés devant la télé, oui, comme l'an dernier déjà, jour pour jour, heure pour heure, devant la même télé, au même endroit du salon, dans la même position du corps, adossé, presque cramponné au même meuble sans trouver la force de s'asseoir, moins saisi par l'événement lui-même que par la perfection sinistre de cet anniversaire, par cette année ignoble et immobile qui nous a faits aux pattes, réduits à des mouvements erratiques de gibier cerné, sans autre résultat qu'un lent enfoncement, un affaissement sur nous-mêmes, dans une écume de terreurs devenues ordinaires.
"De bonne source, sa ceinture d'explosifs était factice" dit maintenant BFMTV, tandis que le mot "factice" s'inscrit docilement sur les bandeaux. Mais ça ne change rien, ça ne nous soulage en rien. Circulation interrompue, écoles du quartier confinées, crainte du surattentat, arrivée prévue de Cazeneuve sur place : étapes désormais rituelles de nos journées, comme nos grand parents, sans doute, attendaient les sirènes des bombardements pour descendre, dans l'ordre, aux abris souterrains.
Sur le trottoir, parfaitement discernable, la silhouette de l'assaillant inconnu, qui s'est précipité sur les policiers sans gilet explosif, mais avec un hachoir de boucher. En apparence, un acte désespéré, un corps sur un trottoir, une réplique dérisoire, un combat perdu d'avance. En réalité, il a gagné. Surgissant au coeur de l'anniversaire, il a pris en otages tous les protagonistes de cette longue cérémonie funèbre que fut la semaine, présentateurs, spectateurs, ministres, tous dans le même sac, il a rapté la journée entière jusqu'aux 20 Heures, il nous a ramenés aux limites étroites de la cage dans laquelle nous nous débattons.
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