Police : des flous et des loups

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 118 commentaires

Et maintenant, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Il vient de se joindre à tous les opposants à la proposition de loi française sur la sécurité globale (notre enquête ici sur cette "guerre des images"). Ce ne sont plus seulement les sociétés de journalistes, les syndicats de journalistes, les reporters en colère, Amnesty International (auteur d'un visuel d'une rare efficacité) la ligue des droits de l'homme et David Dufresne, bref tous les gauchistes habituels, qui s'opposent à l'obligation de floutage du visage des policiers sur les photos et les vidéos lors des opérations de maintien de l'ordre, c'est le Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

Quand je parle d'obligation de floutage, en fait, nul ne sait s'il s'agit vraiment de ça. Même si le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin l'a répété à plusieurs reprises, les députés LREM assurent, dans le JDD, qu'il n'en a jamais été question (même si le mot figure bien dans le rapport parlementaire). Il s'agirait seulement, à en croire Libé,  dans l'article 24 de cette proposition de loi, d'imposer aux vidéastes et photographes non-journalistes, et à eux seuls, l'interdiction de capter et diffuser des images de policiers qui auraient été prises "dans le but de porter atteinte à l'intégrité physique ou psychique" des policiers concernés. Donc, une toute petite interdiction de rien du tout.

Sauf que cette toute petite interdiction de rien du tout s'avance dans un tel... flou que la bande à David Dufresne, qui se caractérise par son mauvais esprit permanent, y voit un loup, et soupçonne le gouvernement de noirs desseins liberticides. Comme les gens sont méchants.

En citoyen respectueux des institutions et des forces de l'ordre, je souhaiterais contribuer au débat. Si des policiers s'estiment jetés en pâture, voire mis en danger par des vidéos virales, ils méritent d'être écoutés (même si aucun syndicat policier n'est capable de citer, dans le passé récent, un seul exemple de fonctionnaire de police personnellement victime de violences, d'intimidations ou de menaces après avoir été identifié sur une vidéo. Pas un seul. Dans la terrible affaire du double meurtre de Magnanville en 2016, souvent avancée, rien n'a été établi dans ce sens).

Dans l'absolu, une vidéo de policier violent au visage flouté est tout aussi dénonciatrice que si le visage est apparent. Distinguer les traits du visage n'apporte rien. Ce qu'il faut, à fins d'enquête ou de poursuites éventuelles, c'est pouvoir identifier le policier en question. Dans sa grande sagesse, le législateur a prévu un dispositif depuis 2014. Il s'appelle le référentiel des identités et de l'organisation (RIO). C'est un numéro à sept chiffres, que sont obligés de porter tous les policiers en opération. Depuis 2014. Résultat ? Seule une toute petite partie des policiers en opération se conforment à cette obligation. Lors des manifestations de 2016 contre la loi Travail, Buzzfeed en avait recensé 3 sur 200. En cas de manquement, cette obligation ne comporte pas de sanction.

Vous me voyez venir. Le floutage, pourquoi pas ? Mais donnant-donnant : à condition que le RIO du policier soit bien visible en toutes circonstances, devant, derrière, partout. Ou alors (autre solution), qu'il soit précisé dans la loi que des poursuites contre des photographes et vidéastes ne pourront s'exercer au nom d'un policier représenté sur une vidéo que si son RIO est bien visible sur l'image. Sinon, circulez ! La machine à coudre, c'est par là.


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