Plenel, le scandale, et l'oasis

Daniel Schneidermann - - Investigations - Le matinaute - 145 commentaires

Attention, ça va être dialectique. Ce mercredi soir, sur le plateau de Mediapart, Mediapart s'explique, après la vague de fureur provoquée chez certains de ses abonnés par ses révélations dont la "relation extra-professionnelle" entre Jean-Luc Mélenchon et Sophia Chikirou. Ils sont cinq journalistes du site, animateur compris, autour d'Edwy Plenel -l'investigateur en chef Fabrice Arfi est absent "en raison d'un engagement de longue date". Sans difficulté, on évacue quelques accusations mélenchoniennes secondaires (Mediapart achète-t-il ses scoops ? Non. Est-il une "officine" ? Non. Publie-t-il des informations d'intérêt public ? Oui, oui, oui, trois fois oui.)

Mais le gros morceau, celui qui ne passe décidément pas, c'est le traitement par le site de cette enquête préliminaire (préliminaire, c'est à dire dirigée par un procureur dépendant du gouvernement) sur la campagne de la France Insoumise. Tout en dénonçant depuis toujours la sujétion des procureurs au gouvernement, tout en appelant depuis toujours à leur émancipation, Mediapart peut-il se gorger sans distance des révélations nées d'une telle enquête, soupçonnable par définition d'être une manip gouvernementale ? Rappelons par exemple les mots très justes et particulièrement définitifs de Arfi lui-même, pas plus tard que le mois dernier, alors qu'on apprenait que les candidats procureurs de Paris passaient des oraux à Matignon et à l'Elysée.

Voici donc Plenel dans la tenaille. Comment va-t-il s'en sortir ? Vive la dialectique ! Plenel, à propos de l'enquête Mélenchon, dirigée par le procureur : "C'est un scandale. Le parquet fait une faute démocratique en n'ouvrant pas d'information" (confiée à des juges indépendants, NDR). Soit. Mais attention, voici le twist. A l'intérieur de ce cadre procédural "scandaleux", existe donc, dans la doctrine Plenel, une oasis insoupçonnée de technique pure, d'application vertueuse des grands principes : les policiers de l'office anti-corruption. Plenel : "Nous les connaissons, les policiers de l'office anti-corruption. C'est des policiers républicains, qui essaient d'être au service du bien commun. Et nous les retrouvons dans toutes nos enquêtes sur l'évasion fiscale, sur tous les dossiers de corruption que vous pouvez trouver sur Mediapart".

L'effort d'explication est, comme d'habitude, louable, et différencie bien la nouvelle presse indépendante de l'ancienne presse, mais Mediapart reste pris dans une contradiction fondamentale : comment critiquer le cadre légal soupçonnogène dans lequel travaillent ses sources policières, en continuant de valoriser suffisamment ces sources, pour qu'elles restent des sources ? Et finalement, si un cadre malsain n'interdit nullement des enquêtes aussi saines que l'enquête Mélenchon, pourquoi s'épuiser à casser ce cadre ?

Coïncidence éclairante, le même jour,Le Monde s'est procuré des PV d'audition d'Alexandre Benalla. Outre qu'on y apprend que l'Elysée serait capable d'effacer des SMS à distance, on y rappelle l'épisode de la perquisition en gants blancs chez Benalla, et du refus du parquet de Paris d'enquêter sur la disparition du coffre-fort-armurerie de Benalla. Oui, le même parquet de Paris. D'ailleurs, tiens, une remarque incidente. Vous avez remarqué ? Quand il s'agit de glorifier son indépendance, on dit "François Molins". Quand on parle de sa sujétion au gouvernement, on dit "le parquet de Paris". C'est une bizarrerie parmi d'autres.


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