Perdons trois minutes avec Elon Musk

Daniel Schneidermann - - Complotismes - Nouveaux medias - Numérique & datas - Le matinaute - 152 commentaires

Sur les bienfaits et les méfaits de Twitter pour le fonctionnement des démocraties, pour les libertés publiques, pour la santé mentale de la planète, tout a été dit depuis longtemps, et se résume dans cette formule indépassable : le pire et le meilleur. Penser Twitter nous oblige à penser le blanc/noir, le oui/non. Davantage encore que Facebook, Twitter a permis l'irruption dans l'espace public de voix minoritaires, jusqu'alors empêchées d'émerger par les médias verticaux possédés par les dominants. Pour prendre un exemple au hasard, le compte Twitter d'Arrêt sur images nous donne accès à 530 000 followers (on dit 530K). Mon compte personnel compte 74K followers, soit bien plus que le nombre d'abonnés du site. À un média indépendant comme le nôtre, financé par ses seuls abonnés, il donne les moyens d'exister dans le débat public. Contrepartie : foisonnent calomnies, insultes, manipulations, fake news, harcèlement. Il n'est pas exagéré d'estimer que Twitter a polarisé le débat public autour des extrêmes (extrême droite, extrême gauche, extrême centre) . Pour les détails, référez-vous à notre chronique Calmos, d'Élodie Safaris.

Sur cette boule à facettes se greffe donc le milliardaire Elon Musk, qui vient de racheter l'entreprise pour 44 milliards de dollars. Au-delà d'une image superficielle de coolitude blagueuse, dans laquelle nous avons appris à lire l'horreur paradoxale d'aujourd'hui, Musk est, lui aussi, un réceptacle à fantasmes, comme dans un test de Rorschach. C'est un gourou et un industriel génial. C'est un libertarien qui court après les subventions d'État. Que veut-il ? Il s'achète de l'influence et il s'achète un jouet. Il veut réintégrer Trump sur Twitter et il s'en fiche bien de Trump. Il veut supprimer la modération, et il va éradiquer l'activisme des minorités (le "Black Twitter"). Il souhaite une liberté d'opinion absolue. Oui, mais seulement pour lui-même.  Etc etc.

Comme un candidat en campagne, et bien que les quelque 300 millions d'abonnés ne votent pas, Musk a émis quelques promesses. Par exemple, d'ouvrir une fenêtre de transparence sur l'algorithme. Ou encore permettre aux twittos de corriger leurs tweets après publication, revendication récurrente des utilisateurs. Mais sans détailler comment. Supposons que je "like" un tweet qui proclame les bienfaits du quinoa, mais que son auteur le corrige ensuite en affichant son amour du hamburger. Que deviendra mon "like" ? Thibault Prévost énumère ici toutes les raisons, le jour où un réseau d'influence mondial tombe entre les mains de l'homme le plus riche du monde, de craindre le pire. Elles résultent d'un constat simple : tout système politico-économique qui offre au caprice d'un seul un si vaste terrain de jeux est profondément pervers, et doit être régulé. 

Que veut Musk ? Tout et son contraire. Sans doute ne le sait-il même pas lui-même. Et au fond, pourquoi ne pas s'en fiche ? "Chaque minute passée à épier ses frasques est une minute de perdue pour la réflexion sur la gouvernance de nos espaces numériques" nous avertit Thibault. Vous venez donc de perdre trois minutes. Désolé. 

Épuisée par cet effort de réflexion, cette chronique prend à partir d'aujourd'hui quelques jours de vacances bien méritées.

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