Oui, déconstruisons le 20 heures, avec Pujadas !
Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Alternatives - Le matinaute - 37 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Donc, le 20 Heures de Pujadas charrie une idéologie : l'idéologie de la croissance
. C'est David Pujadas qui le reconnait lui-même, dans une interview au magazine Society. "Oui, le journal véhicule sans doute une vision du monde : l'idée implicite que le salut et le bonheur résident dans la consommation ou l'accumulation des richesses (...) Aux politiques, on demande toujours, et moi aussi : est-ce que vous nous garantissez que ça va produire plus de richesses pour les Français ?" Or, la croissance non mesurée, l'attention portée aux autres, tout ce temps qu'on passe à échanger des services, les relations de voisinage, c'est essentiel dans une société. Mais on ne le traite pas. Dans ce sens, oui, il y a une idéologie cachée".
C'est bien de le réaliser, et de le dire. Pujadas a progressé, depuis cette autre interview de 2010 dans laquelle il dénonçait (chez les autres) le journalisme des "bons sentiments", et la "bien-pensance" du "faible contre le fort". L'idéologie, c'était les autres, et surtout pas lui. La reconnaissance par le grand prêtre que la liturgie n'est qu'une branlante construction humaine, n'est pas anodine. Même si cette déconstruction pujadienne est elle-même contestable. Allez expliquer aux smicards, qu'ils n'ont pas besoin de "davantage de richesses". Vieux débat, entre cocos et écolos.
Admettant véhiculer l'idéologie de la croissance, Pujadas attaque pourtant son auto-déconstruction par le plus anodin. Oui, l'idéologie de la croissance est une des plus prégnantes, du grand bain de l'information. Mais ce n'est pas la seule "idéologie cachée", que charrie le 20 Heures. Il y en a bien d'autres. Pour n'en prendre qu'une : le 20 Heures charrie aussi une vision sécuritaire des relations sociales. Combien de sujets consacrés à la délinquance des "faibles", contre combien sur la délinquance des "forts" ? Combien de sujets sur les fraudes sociales, contre combien sur la fraude fiscale, dont le montant est cent fois supérieur ? Deux exemples : ce fameux reportage récent, sur les femmes exclues de fait des cafés dans certaines banlieues. Très bien. Pas de tabou. Mais à quand le même reportage, avec la même caméra cachée, sur l'exclusion des femmes des milieux politiques (de la primaire PS, par exemple, au hasard), ou de la direction des multinationales ?
Dans le même ordre d'idées, dimanche soir, le 20 Heures de France 2 consacrait un sujet entier (une minute et 24 secondes) à un braquage raté dans une boutique de Grasse -avec images de vidéosurveillance spectaculaires. Mais le lendemain soir, pas un mot sur le procès en appel des lanceurs d'alerte de Luxleaks, qui s'ouvrait le même jour (lire ici le reportage de Mediapart). Délinquance de pauvres, délinquance de riches : si on commence la déconstruction, on n'a pas terminé.
Procès d'appel Luxleaks, photo Mediapart