Orelsan, rien à comprendre

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 174 commentaires

Du nouveau clip d'Orelsan, L'odeur de l'essence, qui fracasse à la fois YouTube (trois millions de vues) et les médias traditionnels éberlués (lire par exemple ici et ici), on croit d'abord classiquement comprendre qu'il charge prioritairement un air du temps tout en barbelés, et en retour des chemises brunes. "(Regarde) La peur les persuader que des étrangers vont venir dans leurs salons pour les remplacer"


Mais dès les secondes suivantes, nous voilà bien détrompés – "(
Écoute) La panique les pousser à crier que la terre meurt et personne en a rien à branler" – quand il semble renvoyer dos à dos panique identitaire, panique climatique, et même panique alimentaire. Toutes fondées ? Toutes fake ? Les deux à la fois  ? "Tout est deep fake" glisse le chanteur un peu plus loin, comme un glorieux renoncement à trier, à comprendre. "J'avais peur d'avoir rien compris maintenant j'ai peur qu'il n'y ait rien à comprendre" dit-il aussi dans Civilisation, un autre titre du même album, dans la formule la plus percutante peut-être de l'album, et où l'on peut voir une clé de l'ensemble. 

Rien à comprendre. Et même rien à dénoncer explicitement. Ils sont loin, les débuts en dérapage incontrôlé, en mode "Sale pute""On prend des mongols, leur donne des armes" chante Orelsan, sans jamais citer explicitement la police, autrement que par l'image de policiers immobilisant des manifestants. Tout aussi fugace, la dénonciation des "youtubeurs fascistes", sans aucune image à l'appui cette fois, et pourtant celles de la bande à Papacito ne doivent pas être trop difficiles à trouver.

L'odeur de l'essencene dénonce rien. Ou plutôt, ce qui revient au même, dénonce tout pêle-mêle, Zemmour, les ouin-ouin des réseaux sociaux, les experts mongols des chaînes d'info, et les pauvres qui deviennent riches. Mais bien entendu on s'en fout. La force du clip n'est pas dans cet inventaire ramasse-tout, mais dans le flow d'une chanson-monde, d'une chanson en miettes, d'une chanson-fresque, d'une chanson à couper le souffle, seule capable de dire la société à bout de souffle. Avec un tout autre flow, beaucoup moins médiatique mais pas moins puissant à mon sens, je me permets de vous signaler aussi, si vous l'avez manqué, "Nous avons tout mélangé", de Vaslo, jeune artiste qui a récemment triomphé au prix Georges Moustaki. On est loin des Victoires de la musique, mais bon...


Lire sur arretsurimages.net.