Navalny : espionner les espions

C'est une petite satisfaction du matin. Et une enquête qui fait tourner la tête. Je ne sais pas ce qu'elle fera bouger exactement, peut-être rien, mais à l'heure où l'on éprouve l'impression, légitime, que le journalisme, en 2020, se limite à chroniquer des cauchemars quotidiens, il ne faut pas cracher sur un petit plaisir, comme ce reportage de CNN.

CNN (ainsi que Der Spiegel, et le site indépendant russe The Insider) se sont associés au formidable site Bellingcat (dont nous vous avons souvent parlé, par exemple ici). Ainsi associés, se fondant à l'origine sur des listings de passagers de vols, puis sur des listings d'appels téléphoniques, des failles de sécurité dans les messageries russes -"bien moins sécurisées que les occidentales"-, payé "quelques centaines d'euros" des listings téléphoniques géolocalisés, ils sont parvenus à retracer les identités et les itinéraires de l'équipe du FSB qui, depuis trois ans, est chargée de suivre l'opposant russe Alexei Navalny, pour l'empoisonner au Novichok au moment opportun. 

Il faut lire le "making of" de Bellingcat. Par exemple, pour se procurer une masse de données personnelles de Anatoliy Chepiga (impliqué dans un précédent empoisonnement) un robot Telegram et 10 euros environ ont suffi. "En quelques minutes, Bellingcat s'est procuré la date de naissance de l'intéressé, son numéro de passeport, ses condamnations judiciaires, son numéro d'immatriculation, l'historique de ses derniers véhicules, son code PIN, ses infractions au code de la route, et ses lieux de parking préférés à Moscou".

Intervient donc ensuite Clarissa Ward, de CNN, qui est allée frapper à la porte du domicile de Oleg Tayakin, un membre du commando, et a réussi à filmer sa stupeur une bonne seconde, avant qu'il referme la porte. Ce n'est qu'une image fugace. Ce n'est rien. Le grand public russe n'en aura pas connaissance. Si l'on veut savoir de quoi les Russes qui se fient à la presse mainstream auront exactement connaissance, lisez ce bref article du site RT France, adossé sur le démenti du porte-parole du Kremlin. Exactement comme les Français qui se  contenteront ce matin d'écouter distraitement la radio, n'auront connaissance que d'un projet de référendum bricolé en hâte par Macron, pour masquer ses renoncements devant les propositions de la convention citoyenne sur le changement climatique. Mais pour une fois, échappons à nos cauchemars quotidiens.