Natoo : une panique de Ruquier et Salamé
Daniel Schneidermann - - Nouveaux medias - Le matinaute - 42 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Panique ordinaire à la télé.
La bande à Ruquier reçoit - c'était la semaine dernière, et la chose nous aurait échappé sans le blogueur "Un oeil" - la youtubeuse Natoo. Après les compliments d'usage sur son livre, Iconne, pastiche des magazines féminins, déjà 100 000 exemplaires vendus, -"ne prenez pas ça pour vous, vous êtes très drôle, vous avez plein de talent"- Léa Salamé se lance dans le MAIS. Car il y a un MAIS. Et voici le MAIS.
Salamé : "Et puis il y a cette mode, pardonnez-moi, tous ces parents qui regardent leur môme, leur fillette de douze ans qui prend la caméra, et qui commence à expliquer comment elle se lisse les cheveux et comment elle se met du mascara. De manière générale, cette société voyeuriste où on crée des fausses popularités sur des gamines de douze ans qui peuvent être ultra fragiles. Si vous êtes parents, est-ce qu'on doit flipper de voir ça ? J'ai l'impression que chaque fois on bascule, de Facebook à Instagram, dans une espèce de mise en scène de sa vie perpétuelle. Est-ce qu'y a pas un problème, de ça ?"
Et non seulement cette popularité échappe aux parents, qui "amènent Mick Jagger à l'école sans le savoir" (Moix), mais il y a aussi les chiffres. Ah, ces chiffres qui plongent les gens de télé en transe. Ruquier : "Un mot sur ce nombre de vues. Je voudrais qu'on m'explique. Quand un malheureux artiste fait 200 000 entrées, il est content. Et alors là, ils vous arrivent, ils annoncent des millions de vues. Pardon, mais je voudrais qu'on relativise. Vous, votre record, c'est neuf millions de vues. Ca veut pas dire qu'il y a neuf millions de Français qui vous connaissent ! Et puis il y a ceux qui cliquent et qui n'aiment pas. Je ne veux pas relativiser votre succès, mais ces chiffres, dont on nous abreuve, ils ne veulent strictement rien dire. Sur un ordinateur, c'est pas parce que vous avez regardé la video que vous aimez".
Vertigineuse panique de Ruquier, réalisant qu'il a sur son plateau, en face lui, une inconnue qui est peut-être plus connue que lui. Vertigineuse panique de la vieille télé devant les nouvelles hiérarchies de la notoriété, où elle n'est strictement pour rien. Cinq ans après le "J'emmerde la télé", de Rémi Gaillard (déjà cinq ans que nous le recevions sur le plateau), Ruquier peut demander "C'est quoi, studio Bagel ?" (pour ceux qui se le demandent aussi, le rattrapage est ici, avec Natoo en personne, et les précisions sur la manière dont cette industrie naissante pratique sans complexe la pub clandestine sont là). Il est probable que ce grand moment de télé est promis à un bel avenir sur Internet, où on se le repassera longtemps, peut-être bien quelques millions de fois.